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Traumatisme et troubles comportementaux

Updated: May 19, 2023

Pourquoi comprenons-nous difficilement les problèmes de comportement des enfants qui ont vécu des traumatismes et que pouvons-nous faire pour remédier à cette situation?


Par Dre Mona Delahooke (21 avril 2019)

Traduit par Nathalie Malo


Avant qu’il n’ait atteint l’âge de onze ans, « Luke » avait fait preuve d’un comportement si problématique qu’il fut expulsé de quatre différents foyers d’accueil. À la suite de nombreuses tentatives manquées, un travailleur social a décidé de le confier à des parents qui avaient été formés selon un programme qui était orienté sur la gestion du comportement. Hélas, ce placement a également échoué et il a abouti dans un programme de jour destiné aux jeunes qui sont sujets à de sérieux troubles émotionnels.

À la lumière de ce qui précède, il n’est pas étonnant de constater que le dernier foyer où « Luke » a séjourné s’est avéré incompatible avec lui. Pourquoi? Parce que les individus qui forment les parents de famille d’accueil ne réalisent aucunement que certains types de programmes de formation sont désuets et qu’ils peuvent même se révéler dommageables. En vérité, ces approches reposent sur d’anciens paradigmes comportementaux qui sont particulièrement inappropriés pour les enfants qui ont vécu du stress toxique et des traumatismes.

Il importe de tenir compte que ces approches découlent de recherches qui ont été initiées, il y a déjà plus d’un siècle, par des scientifiques qui ont préalablement étudié les moyens par lesquels il est possible de manipuler le comportement des animaux. En outre, quelques décennies après, les psychologues ont décidé d’appliquer ces mêmes approches à des sujets humains et subséquemment, est né le courant béhavioriste.

D’ailleurs, vers le milieu du 20e siècle, le béhaviorisme a gagné en popularité, et ce, notamment puisqu’il semblait être efficace pour mettre un frein aux comportements d’automutilation auprès des individus autistes qui étaient considérés à risque élevé.

Cependant, les neuroscientifiques qui étudiaient le cerveau au cours des années 1990 (la « décennie du cerveau ») se sont aperçus que l’approche comportementale omettait deux facteurs primordiaux, soit la pertinence des émotions des individus ciblés et l’importance des relations qui sont engagées et sécuritaires. En outre, ce n’est pas parce que nous sommes en mesure de modifier les comportements que nous pouvons améliorer la qualité de vie ou le sort des enfants vulnérables. Il convient de souligner, entre autres, que seulement 30% des enfants placés en famille d’accueil obtiennent un diplôme d’études secondaires et qu’uniquement 2,5% acquièrent un diplôme universitaire.

De nombreuses personnes qualifient encore les approches comportementales comme étant « fondées sur des preuves » parce qu’elles s’appuient sur des études scientifiques. Néanmoins, ces « preuves » ne signifient pas nécessairement que cette approche soit appropriée pour les enfants. Par exemple, le fait de soigner l’esprit humain s’avère particulièrement différent à l’essai d’un médicament pour traiter le diabète. Or, une intervention précise peut certes atténuer les comportements « négatifs » sans améliorer le développement neurologique d’un enfant. Dans cette perspective, un enfant peut devenir davantage docile, mais il peut être également plus stressé.

La raison pour laquelle plusieurs d’enfants qui sont placés en famille d’accueil affichent des comportements problématiques se ramène au fait qu’un trop grand nombre adultes n’ont pas su être à la hauteur au fil du temps. Leurs comportements sont donc instinctifs et ils constituent des réactions de protection pour contrer une menace. Tel que l’explique le neuroscientifique Stephen Porges : « les réponses comportementales correspondent à la façon dont le système nerveux d’un individu régule continuellement la réaction de l’organisme au stress ». Par conséquent, les problèmes comportementaux persistants d’un enfant révèlent que son système nerveux s’adapte et réagit automatiquement à diverses formes de stress.

Il ne faut pas oublier que nous laissons tomber les enfants quand nous nous efforçons de les soustraire de leurs comportements au lieu de les aider à regagner leur confiance en autrui. En fait, lorsque nous punissons les enfants traumatisés parce qu’ils manifestent des comportements problématiques, nous intensifions effectivement leur charge de stress qui est déjà considérable. Par conséquent, lorsque nous utilisons des programmes de gestion comportementale qui ne reconnaissent pas l’importance d’un traumatisme, alors nous sommes dans l’incapacité d’accepter les comportements pour ce qu’ils sont réellement, soit des réponses au stress.

Conséquemment, plutôt que de démontrer une faible tolérance à l’égard des comportements dits « inappropriés », nous devrions préférablement avoir une tolérance élevée envers ceux-ci. Par ailleurs, nous devrions faire preuve de compassion au lieu d’utiliser des conséquences et des retraits. De surcroît, nous devrions offrir une sécurité relationnelle et des interactions aidantes à la place de se retirer et de démontrer de l’indifférence.

Au cours de ma carrière, j’ai malheureusement rencontré beaucoup trop d’enfants similaires à « Luke », soit des enfants à qui nous retirons des privilèges ou que nous mettons à l’écart lorsqu’ils réagissent au stress sous la forme de comportements problématiques. Or, nous manquons à ces enfants si nous ciblons strictement leurs comportements qui ne représentent que la pointe de l’iceberg. À vrai dire, nous devons plutôt examiner ce qui suscite ces comportements, et ce faisant, nous serons donc en mesure d’aborder adéquatement la douleur et la souffrance qui alimentent le comportement en question. Si vous êtes parent, vous devez savoir que vous avez le choix entre des approches qui sont axées sur les comportements (connues sous le nom d’approches comportementales) et des approches neurodéveloppementales (basées sur les relations) qui mettent l’accent sur la sécurité au sein des relations ainsi que sur les différences individuelles.


Il serait approprié de substituer les systèmes de renforcement et les conséquences négatives par l’amour, la tolérance, la sécurité et la compréhension du fait qu’un comportement problématique constitue une réponse adaptée à une menace perçue par les enfants qui sont exposés aux ENE (expériences négatives durant l’enfance). Il convient de noter que ces enfants ne nécessitent pas moins de tolérance, mais certainement davantage. Par ailleurs, ils ont besoin d’être pris en charge par des personnes qui saisissent que leur crises comportementales ne sont pas le fruit d’une inconduite délibérée. Somme toute, les enfants qui sont victimes de traumatismes font instinctivement les mêmes choses que les humains afin de se protéger d’un danger imminent. À cet effet, nous devons les traiter avec compassion, et personnifier les adultes bienveillants et impliqués qu’ils requièrent et qu’ils méritent incontestablement.




Tous droits réservés Mona Delahooke, 2019©

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