Pourquoi devrais-je m’en soucier ? Comment élever des enfants qui sont bienveillants
- Catherine Korah
- Jan 13, 2018
- 7 min read
Par Dre Deborah MacNamara (13 janvier 2018)
Traduit par Nathalie Malo

Nous prenons plaisir à observer les enfants quand ils sont empreints de bienveillance : qu’il s’agisse de gentillesse démontrée envers leur fratrie, de leur aptitude à aider les autres ou de se montrer attentifs à l’école. Nous sommes également consternés lorsqu’ils sont cruels entre eux, qu’ils font preuve de dominance et d’intimidation à l’égard d’autrui et qu’ils privilégient égoïstement leurs besoins sans tenir compte de ceux des autres. Quelle est la différence entre des enfants bienveillants et ceux qui ne le sont pas ? Au moment où la sollicitude fait systématiquement défaut, s’agit-il d’une question d’hérédité, de parentalité, de difficultés scolaires, de l’influence d’autres enfants ou d’un facteur inhérent à l’enfant ?
Le défi réside dans le fait que nous ne pouvons attribuer un sens aux gestes qui sont malveillants tant que nous ne comprenons pas ce que sont les actions bienveillantes; c’est-à-dire, d'où proviennent initialement la bienveillance et l'empathie ? Comment les enfants deviennent-ils des personnes socialement et émotionnellement responsables, et quel est le rôle des adultes dans ce processus ?
La bienveillance en apparence
En ce qui concerne le développement de la bienveillance et de l'empathie, il existe deux écoles de pensée prédominantes. Or, tel les deux côtés d'une clôture, on doit choisir de quel côté on désire se positionner. L’une de ces approches est plus populaire et largement répandue, mais elle n'est aucunement supportée par la science développementale courante, ainsi que que par la recherche en neurosciences. Cependant, l'autre est moins comprise, notamment en raison des nouvelles recherches émergentes qui sont liées au développement du système affectif (afférent aux émotions). En un mot, la plupart des parents et des éducateurs privilégient une approche dont le but est d’élever des enfants bienveillants et qui, malheureusement, risque de ne pas être efficace. Il est donc primordial que l’on s’attarde davantage à ce phénomène. En effet, des recherches menées auprès de jeunes Américains montrent que, par rapport à il y a 15 ans, ceux-ci sont 40 % moins enclins à faire preuve d'empathie et de bienveillance envers les autres. Cette situation suscite des conséquences inestimables au sein de nos foyers, de nos écoles et de nos communautés.
La première approche pour élever des enfants bienveillants se fonde sur le behaviorisme et la théorie de l'apprentissage. L'idée centrale consiste à penser que les enfants apprennent à agir de façon mature et qu'ils peuvent être entraînés à se comporter adéquatement. En outre, les renforcements, tels que des récompenses positives, sont utilisés pour accroître la probabilité qu'ils adoptent un comportement bienveillant. La question cruciale qui reste sans réponse quand les récompenses motivent le comportement est la suivante : Est-ce vraiment de la « bienveillance », sachant qu’il s’agit d’un acte égoïste ? Si un individu se comporte de manière bienveillante dans le but d’obtenir une récompense, il répond en réalité à ses besoins et non ceux d’autrui. Ce comportement est à l’opposé de l'empathie ou de l'altruisme, et il se rapproche plutôt du narcissisme et d’un sentiment de suffisance.Les théories comportementales et de l'apprentissage croient également au pouvoir opposé du renforcement négatif ou de la punition pour remédier au manque d’actions bienveillantes d'un enfant. Le renforcement négatif implique d’enlever à l'enfant un objet qu’il affectionne ou de l'isoler en lui imposant un retrait, et ce, dans l’optique de « lui apprendre une leçon qu'il se souviendra ». Cette approche se fonde sur la conviction que la douleur constitue un excellent moyen d'apprentissage et que le fait d'infliger des mesures déplaisantes incitera l'enfant à cesser d'être méchant, insensible, impoli ou irrespectueux. Toutefois, elle ne tient pas compte des émotions qui sous-tendent le comportement, à savoir ce qui pousse un enfant à blesser autrui. Un comportement malveillant ne surgit pas de nulle part : il est lié à quelque chose qui ne fonctionne pas auprès de l'enfant, qui doit changer ou auquel il nécessite de l'aide pour s'adapter.
Sans comprendre le motif sous-jacent ou sans disposer des mots pour exprimer ce qui ne fonctionne pas, un enfant sera dans l’incapacité de développer une meilleure faculté à gérer ses émotions qui sont davantage « problématiques ».
Le principal enjeu quand on a recours à une approche de l'apprentissage pour développer la bienveillance est qu'elle ne tient pas compte de l'émotion qui devrait la susciter. Le fait de récompenser la bienveillance apprend aux enfants qu'ils peuvent agir de façon bienveillante, sans pour autant éprouver l'émotion qui devrait la sous-tendre. On peut obtenir d'un enfant qu'il adopte un comportement bienveillant, mais cela ne signifie pas nécessairement que cet enfant le soit en lui-même; il peut s'agir uniquement d'une performance dans le but d'obtenir une récompense. Toutefois, que devient la sollicitude d'un enfant lorsque les adultes ne récompensent plus un comportement ? Est-ce que l'enfant fait « la bonne chose » quand aucun bénéfice personnel n'y est associé ? En d'autres termes, on peut forcer un enfant à s'excuser, mais cela ne signifie pas qu'il éprouve des regrets. On peut le forcer à dire merci, mais cela ne garantit pas qu'il ressente de la gratitude. On peut le forcer à affirmer de nombreuses choses, mais cela ne veut aucunement dire que ces mots soient connectés à la bienveillance qui devrait être à l’origine de ceux-ci.
L'instinct de sollicitude à l’égard des personnes et des choses se libère au moment où les enfants ont le sentiment qu'ils sont pris en charge.
La bienveillance intrinsèque
Selon les spécialistes du développement (qui étudient le processus de croissance des enfants) et des neurosciences, il n’est pas nécessaire d’apprendre à un enfant à être bienveillant. En effet, la bienveillance est déjà inscrite en chaque personne et elle est prête à se dévoiler si l'environnement dans lequel cet individu évolue favorise son développement. Or, la question qu’il est pertinent de se poser est la suivante : Comment peut-on faire émerger les émotions de bienveillance d'un enfant ? Heureusement, les spécialistes du développement détiennent certaines réponses à ce propos.
L'instinct de bienveillance envers les personnes et les choses se déploie quand les enfants sentent qu’on prend soin d’eux. Cette bienveillance peut provenir d'un enseignant, des parents, de la fratrie, des grands-parents ou d'un animal de compagnie. D’ailleurs, c'est le sentiment d'être pris en charge par les autres qui éveille l'instinct et le désir de prendre soin d’autrui. Lorsque l'on se sent aimé et pris en charge, notre aptitude à aimer et à prendre soin des personnes et des choses se révèle. Dans cette perspective, il convient de préciser qu’il n’est pas nécessaire d’apprendre à un enfant comment il doit s'occuper d'une poupée, de ses parents ou de sa fratrie. Ces actions bienveillantes surviennent naturellement au moment où les conditions sont propices et favorables à leur développement et à leur expression.
Les spécialistes en matière de développement sont également unanimes sur le fait que l'empathie ne peut être enseignée explicitement. En effet, l’empathie désigne une faculté à prendre en considération le point de vue d'autrui et à envisager le monde à partir de ce point de vue. De plus, l'empathie exige à la fois de la bienveillance et le développement du cortex préfrontal, qui se produit généralement entre l'âge de cinq et sept ans, et ce, dans le cadre d'un développement qui est optimal. Un enfant doit être en mesure de considérer deux choses, deux personnes ou deux pensées et émotions avant de pouvoir réellement faire preuve d'empathie. Néanmoins, cela ne sera possible que lorsque le cerveau de l'enfant sera suffisamment développé. De surcroît, il importe de souligner que les jeunes enfants doivent tenter de comprendre ce qui se déroule dans leur propre vie avant qu’ils ne soient assaillis par les histoires et les besoins d’une grande quantité d’individus.
L'empathie est une étape importante du développement que la majorité des enfants devraient être sur le point d'atteindre alors qu’ils entrent à la maternelle ou en première année.
Quelles sont les implications pour les parents et les éducateurs, selon une approche développementale visant à élever des enfants bienveillants ?
Les enfants bienveillants se sentent pris en charge par les adultes qui sont présents dans leur vie.
La bienveillance est une émotion qui doit être ressentie, et non enseignée.
Le manque de bienveillance d'un enfant suggère un problème émotionnel qui doit être abordé.
On doit préserver sa propre bienveillance quand on gère un enfant qui a perdu la sienne.
On doit cesser de récompenser les enfants pour leur comportement bienveillant, car il ne s'agit plus de bienveillance sincère lorsque l'intérêt personnel de l’enfant entre en jeu.
Nous voulons tous que nos enfants soient bienveillants, et les gestes empreints de malveillance devraient nous préoccuper. La solution réside dans la manière dont nous prenons soin de nos enfants, dans le fait qu'ils se sentent pris en charge par nous, que leur cœur soit tendre et qu’ils soient en mesure d'éprouver des émotions qui évoquent une certaine vulnérabilité. D’ailleurs, le cœur des enfants peut s'endurcir quand ils sont confrontés à un manque de prise en charge de la part de leurs parents, ou lorsque d'autres personnes les ont profondément blessés. Prendre soin d'un enfant au moyen de chaleur, d’amour, de connexion, de notre relation, de générosité et d’invitation constitue la clé pour libérer son potentiel de sollicitude. Or, il est essentiel de protéger la relation que nous entretenons avec eux, de veiller à ce que les relations concurrentes avec les appareils numériques ou les pairs demeurent sous contrôle, et de leur garantir qu'ils sont aptes à reposer en toute sécurité sous nos soins.
Tous droits réservés Deborah MacNamara, 2018 ©
Dre Deborah MacNamara, auteure du livre « Grandir, jouer, s’épanouir », est membre du corps professoral de l’Institut Neufeld, ainsi que directrice de Kid’s Best Bet, un centre de consultation et de ressources familial. Pour de plus amples informations, veuillez visiter :
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