Pourquoi les enfants nécessitent-ils un lieu sûr pour ressentir, apprendre et grandir?
Écrit par Hannah Beach, traduit par Nathalie Malo, 29 avril 2021
https://hannahbeach.ca/emotional-safety/

La sécurité émotionnelle est à la source de l’apprentissage et de la croissance. À vrai dire, elle constitue le récipient qui contient l’espace qui permet aux enfants de ressentir leurs émotions, de se montrer curieux, de se soucier d’autrui et d’émerger en tant que personne distincte. Ainsi, il peut être difficile de saisir concrètement à quoi celle-ci ressemble et à ce qu’elle nous donne comme impression. De plus, il peut s’avérer ardu de se souvenir du lien existant entre ce sentiment de sécurité et les comportements observés dans nos salles de classe.
La pandémie a eu comme effet d’amplifier notre compréhension de l’importance cruciale que ce sentiment de sécurité revêt quant à l’aptitude de nos élèves à apprendre et à se développer.
Cette période a amené plusieurs d’entre nous à s’arrêter et à se poser les questions suivantes : « Comment se fait-il que nous apprenions? Comment nous développons-nous en tant qu’êtres humains? Et qu’est-ce que le désir de se sentir en sécurité peut bien avoir à faire avec un tel processus? »
Il pourrait être judicieux de considérer, pour un instant, l’exemple classique de la plante. À ce propos, les plantes s’épanouissent lorsque les conditions appropriées sont rencontrées. Si elles se détériorent, il est évident d’essayer de modifier un élément propre à la conjoncture dans laquelle elles évoluent. À cet égard, nous nous demanderons ce dont elles ont de besoin de façon à être en mesure de prospérer. Par exemple, est-ce qu’elles requièrent davantage d’eau? De soleil? Conséquemment, nous nous penchons directement sur les circonstances existantes parce que nous savons que les plantes ne nécessitent pas d’apprentissage pour pousser. En un mot, leur croissance se produira naturellement en présence de conditions optimales.
Il en va de même pour nous. Tel que les plantes, nous nous épanouissons si les conditions dans lesquelles nous sommes sont favorables. Toutefois, il convient de préciser que les humains sont nettement plus complexes, et que leur croissance est délicate. Par conséquent, nous pouvons obtenir un aperçu des facteurs qui nous aident, à titre d’humains, à apprendre et à grandir en acquérant une meilleure compréhension du rôle des émotions et des sentiments ainsi que de leur raison d’être qui est inestimable dans nos vies.
Comprendre la différence qui existe entre l’émotion et le sentiment est essentiel dans le but de nous aider à instaurer des conditions propices à la croissance.
Les émotions (bonheur, tristesse, peur, amour, colère, etc.) correspondent à des processus physiologiques, instinctifs et involontaires qui surviennent en nous. Par ailleurs, nous les expérimentons tous. Nos émotions exercent un rôle fondamental quant à notre manière de réagir, de nous comporter et d’interagir avec notre environnement, et ce, que nous en soyons conscients ou non.
Nos sentiments nous font réaliser les émotions que nous éprouvons. Par surcroît, ils représentent des messages conscients qui sont transmis par nos émotions et qui nous indiquent ce que nous vivons.
Pourquoi devons-nous ressentir nos émotions? Quel en est le but? Pourquoi est-il si important que nous soyons aptes à éprouver ce qui nous habite?
1. Il est important d’avoir accès à nos sentiments afin d’être en mesure de ressentir l’empathie et la sollicitude que nous avons à l’égard des autres et surtout pour ne pas agir uniquement sous le coup de l’impulsion.
Notre capacité à ne pas nous emporter au moment où une émotion nous envahit, exige que nous ayons aussi accès à nos autres sentiments.
Avant de considérer la façon selon laquelle ce procédé pourrait fonctionner pour un enfant, penchons-nous un instant sur la manière dont cela pourrait se révéler en nous alors que nous sommes des adultes. Imaginez que vous êtes pressé, que vous quittez le travail tardivement et que vous devez vous rendre à l’école de votre fille pour assister à sa pièce de théâtre. De plus, vous êtes fatigué, vous avez faim et, pour couronner le tout, vous êtes pris dans un embouteillage monstre. Et plus que n’importe quoi, vous avez envie de frapper du poing votre volant et de presser votre klaxon à fond pour évacuer tout ce qui vous habite. Et pourtant, vous n’en ferez rien. Vous savez pertinemment que si vous agissiez de la sorte, vous feriez sursauter les conducteurs qui se situent près de vous, le cycliste qui attend aux feux de circulation devant vous et les piétons qui attendent pour traverser la rue. Cette attitude serait non seulement dérangeante pour tous ceux qui sont à votre proximité, mais en agissant ainsi, vous pourriez aussi provoquer un accident! Par conséquent, malgré votre colère et votre frustration, vous vous abstiendrez de ne pas adopter de tels comportements.
Dans un tel scénario, vous expérimentez l’émotion liée à la frustration, MAIS ÉGALEMENT des sentiments de bienveillance et de considération pour ceux qui vous entourent.
Lorsque nous sommes de jeunes enfants, généralement avant l’âge de 5 ans, nous reproduisons tout simplement ce qui sommeille en nous. Or, l’émotion qui s’agite en nous s’extériorise souvent de façon surprenante et démesurée! Ce phénomène se transforme habituellement entre l’âge de 5 et 7 ans, alors que nous combinons des sentiments qui sont apparemment contradictoires, ce qui signifie notamment que nous sommes capables de ressentir des sentiments qui sont opposés simultanément :
Je suis vraiment en colère contre mon ami. Cependant, je me souviens aussi que je tiens à lui et que je ne veux pas lui faire de mal.
Le fait d’avoir accès à nos sentiments consiste en une composante essentielle pour développer la maîtrise de ses impulsions et d’entrer en relation avec les autres.
2. Il est vital que nous ayons accès à nos sentiments pour être en mesure de gérer les défis et de nous adapter au changement.
Nous avons effectivement besoin de nos sentiments pour devenir adaptables et résilients. En réalité, nous devons être aptes à surmonter des expériences difficiles pour que notre cerveau constate que nous pouvons survivre à l’adversité.
Par exemple, en milieu scolaire, quand un enfant n’obtient pas la note qu’il avait souhaitée ou qu’il n’est pas choisi pour quelque chose qu’il désirait véritablement, et que, au lieu de se protéger de ses sentiments (Peu importe. Ça n’a pas d’importance. Ce n’est pas grave.), il est en mesure de ressentir sa déception, son cerveau peut alors affirmer ceci : «Nous avons survécu à cette expérience et désormais, nous savons que nous pouvons le faire à nouveau!»
Il importe de mentionner que le cerveau reçoit un signal qui l’avise qu’il peut survivre à l’adversité par le biais du processus d’assimilation d’un sentiment. De fait, cela ne surviendra pas et la résilience ne naîtra pas, si nous ne pouvons pas avoir accès aux sentiments de vulnérabilité.
3. Il est impératif d’avoir accès à nos sentiments de façon à faire preuve de curiosité, à être ouvert à l’apprentissage ainsi qu’à nous permettre de découvrir notre ‘soi’ unique.
Il convient de souligner que le fait d’être curieux et enthousiaste à l’idée de découvrir sa place unique dans notre monde est fondamental pour que l’enfant soit réceptif à l’apprentissage. Effectivement, ce processus de croissance peut se résumer par le mot «émergent» J’aime particulièrement ce terme parce qu’il implique un sentiment de mouvement, plus précisément quelque chose qui provient de l’intérieur et qui se projette à l’extérieur. Lorsqu’un enfant est émergent, il est animé par une énergie qui le pousse à se découvrir. Or, de telles questions peuvent venir à son esprit : « Qui suis-je? Qu’est-ce que j’aime? Qu’est-ce qui pique ma curiosité? Qu’est-ce qui me rend enthousiaste à l’idée d’apprendre? »
Si nous sommes en présence d’un enfant qui affiche un tel sentiment de curiosité et qui ne craint pas d’être soi-même, alors l’apprentissage adviendra spontanément. En outre, si nous ne sommes pas coupés de nos sentiments, nous pouvons ressentir cette énergie émergente qui nous habite. Il s’agit d’un processus compliqué, mais c’est à partir de lui que nous acquérons notre caractère unique! Il importe de rappeler que nous avons besoin de nos sentiments de manière à être curieux et grandir.
Cependant, ce processus peut se bloquer.
Pour certains, le fait d’être curieux peut susciter une grande vulnérabilité puisqu’il peut se révéler trop dangereux de commettre une erreur ou de se « tromper ». En pareil cas, il est possible que l’enfant soit enclin à se replier sur lui-même et conséquemment, à perdre l’accès à ses sentiments. Sous cet angle, cette fermeture nuira profondément à sa curiosité, à son apprentissage et à sa quête de soi.
À ce stade, je peux imaginer que vous vous dites : « Ça va, j’ai compris! Avoir accès à ses sentiments compte BEAUCOUP. »
Toutefois, en quoi cela concerne la sécurité émotionnelle? Eh bien tout!
La sécurité émotionnelle correspond à l’élément qui détermine les conditions propices qui font en sorte que les sentiments deviennent suffisamment sécuritaires pour émerger.
La sécurité émotionnelle consiste en un facteur qui permet aux sentiments de surgir. Ce point est particulièrement important puisque la maturation et la croissance sont deux processus qui ne peuvent pas être enseignés. De ce fait, nous ne pouvons pas apprendre à un individu à être résilient et curieux, de même qu’à éprouver des sentiments bienveillants. En d’autres mots, nous pouvons les modeler et aider à scénariser ce à quoi ils peuvent ressembler, mais nous ne pouvons pas APPRENDRE à une personne à ressentir. Par conséquent, nous pouvons simplement créer un environnement sécurisant où le processus peut se déployer.
Il existe plusieurs moyens différents qui permettent d’instaurer un sentiment de sécurité émotionnelle au sein de nos communautés d’apprentissage, et ce, qu’il s’agisse des manières que nous accueillons les erreurs (il ne suffit pas uniquement de les pardonner), que nous planifions les leçons, que nous abordons les explorations axées sur le processus et que nous travaillons côte à côte. En tant qu’éducateurs, nous trouverons tous la formule qui conviendra davantage à nous ainsi qu’aux enfants dont nous avons la charge. Cependant, il importe de mentionner que le fondement de la sécurité émotionnelle réside dans les relations que nous forgeons avec nos élèves. Par ailleurs, notre présence, virtuelle ou en présentiel, peut procurer un inestimable sentiment de sécurité. Il convient de spécifier que la façon dont les élèves se sententen notre compagnie a un impact nettement plus marqué que la nature exacte de ce que nous faisons.
Si vous souhaitez approfondir ce sujet, ma coauteure Tamara et moi avons pris plaisir à étoffer le concept de la sécurité émotionnelle dans notre série de vidéos anglophones disponibles en ligne dans la session : « Creating an environment of emotional safety. »
Vous trouverez ci-dessous quelques composantes relationnelles primordiales qui s’avèrent fondamentales à la création d’une sécurité émotionnelle :
Une relation accueillante : Est-ce que l’enfant a l’impression que nous nous soucions de lui? Est-ce qu’il se sent spécial, qu’il compte pour nous? Est-ce qu’il se sent lié à nous? Est-ce que nous l’avons apprivoisé émotionnellement? Cette relation qui unit l’élève et l’enseignant constitue la fondation de la croissance et de l’apprentissage. En réalité, nous sommes programmés pour être connectés, et la relation instaure un sentiment de sécurité. Par ailleurs, lorsque nous nous sentons en confiance et en sécurité, nous pouvons alors être tel que nous sommes. Subséquemment, notre timidité disparait, notre voix se rétablit, et nous sommes donc libres de conquérir le monde et d’apprendre. Par conséquent, la relation et la connexion se révèlent être les piliers de la sécurité émotionnelle.
Faire preuve de chaleur affective : Les enfants détectent notre bienveillance, entre autres en raison de leur aptitude à sentir notre chaleur. En outre, celle-ci est arborée différemment en fonction des divers enseignants. Or, certains d’entre nous peuvent démontrer leur cordialité d’une façon traditionnelle et aisément reconnaissable (tels que des visages souriants et une sensation de confort comparable à celle que procure une grand-mère), tandis que d’autres peuvent simplement afficher une étincelle dans leurs yeux. En revanche, certains peuvent sembler quelque peu grognons, mais abriter en eux une gentillesse et une convivialité extraordinaires qui transparaissent. Il est à noter que la plupart des enfants disposent d’un remarquable radar pour déceler notre chaleur et qu’ils sont en mesure de ressentir cette invitation de notre part. Cependant, les enfants ne requièrent aucunement que la chaleur soit dispensée selon un style particulier; ils ont uniquement besoin de sentir sa présence.
Aider les élèves à se sentir à l’aise, comme s’ils étaient à la maison : Le terme «maison» ne signifie pas nécessairement l’endroit où nous vivons. À cet égard, le mot maison peut signifier le lieu où votre cœur se sent davantage en sécurité, et lorsque nous nous sentons connectés, nous nous sentons à la maison, et nous nous sentons à la maison quand nous pouvons être nous-mêmes. En outre, nous nous sentons en sécurité alors que nous sommes avec les nôtres, à savoir ceux qui nous comprennent et avec lesquels nous sommes à l’aise. Par ailleurs, c’est au moment où nous nous sentons à la maison que notre armure peut tomber et que nos cœurs peuvent devenir tendres.
Leur remettre une invitation à se révéler tels qu’ils sont véritablement : Il importe de souligner que les enfants peuvent sentir cette invitation de notre part. Ainsi, est-ce qu’ils sont invités à se montrer tels qu’ils sont? Est-ce que notre chaleur est exclusivement réservée aux enfants quand ils sont « bons » pour nous? Est-ce qu’ils sentent que nous les accueillons, indépendamment du fait qu’ils aient fait quelque chose de bien ou de mal? Cette démarche ne sous-entend aucunement que nous ne disons jamais non et que nous ne corrigeons pas les élèves, mais plutôt que nous faisons le pont avec toute discipline afin que nos élèves ne considèrent pas que la relation soit conditionnelle.
Cette invitation ne s’exprime généralement pas par le biais des mots que nous adressons à nos élèves. Toutefois, nous pouvons communiquer ce message clairement au moyen du langage corporel et de notre chaleur affective; tu es invité et tu es bienvenu en ma présence, et ce, tel que tu es.
Le sentiment de sécurité nous change en tant qu’êtres humains, alors merci à VOUS.
Cette période a été difficile, pour ne pas dire extrêmement déconcertante. Nous sommes émotionnellement bouleversés, fatigués, inquiets et épuisés. Et la dernière chose que nous souhaitons faire est de fournir davantage d’efforts.
Rassurez-vous car il ne faut rien mémoriser ici et surtout, il ne s’agit aucunement d’en faire plus. À vrai dire, il s’agit plutôt de réaliser à quel point nous sommes incroyablement importants, et ce, tout comme notre relation avec nos élèves. La pandémie a permis de mettre en lumière de nombreux éléments, notamment le pouvoir remarquable de la relation qui permet aux enfants et aux jeunes à apprendre et à grandir.
Il est indéniable que les éducateurs du monde entier se sont mobilisés d’une façon qui est à la fois phénoménale et inouïe. Effectivement, ils ont cherché loin et ils ont travaillé avec acharnement pour établir des espaces sécuritaires pour les enfants, que ceux-ci aient été en ligne ou en présentiel.
Les répercussions de ce processus sont durables puisque la sécurité sert à nous changer en tant qu’êtres humains.
Alors un gros merci! Je vous remercie pour toute la sécurité émotionnelle que vous avez créée au cours de cette période. Merci d’avoir instauré des espaces sécuritaires dans lesquels il est possible de sentir. Merci d’avoir attendri les cœurs et changé des vies. Bref, merci, merci et merci.
Cordialement,
Hannah Beach