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Je ne suis pas mélodramatique! Pourquoi pleurons-nous pour des banalités?

Updated: May 19, 2023

Écrit par Hannah Beach (18 janvier 2021)

Traduit par Nathalie Malo


Hier, alors que je montais les marches d’escalier qui menaient à ma porte d’entrée, j’ai aperçu un petit pinson jaune, mort et allongé près de mon paillasson. Il n’avait pas les plumes ébouriffées et il ne paraissait pas meurtri. Il donnait uniquement l’impression de dormir paisiblement. Cependant, cet incident s’est avéré être la goutte qui a fait déborder le vase puisque soudainement mes yeux sont devenus plein d’eau et des larmes se sont mises à couler sur mon visage.

En cette période de pandémie, j’entends continuellement des témoignages de parents et d’éducateurs qui se sentent désemparés. À cet égard, je tente de les soutenir autant que possible quant aux expériences qu’ils vivent. Par ailleurs, je suis en colère, inquiète, abattue et stressée par la santé émotionnelle de notre planète, et ce, notamment quand je regarde les actualités et que je suis confrontée au racisme et à la haine qui sont omniprésents. De plus, le fait de ne pas côtoyer des gens et d’interagir avec eux me manque. En effet, je m’ennuie terriblement de ma mère qui est âgée et qui m’est impossible de visiter. Et malgré tout cela, je n’ai aucune larme qui soit disponible. De la tristesse, absolument! De la frustration, certainement! Toutefois, je suis incapable de verser une seule larme!


Et pourtant, j’ai eu les larmes aux yeux au moment où j’ai trouvé ce petit oiseau vulnérable, fragile et magnifique qui était mort au seuil de ma porte.

À vrai dire, il en est souvent de la sorte avec les êtres humains. Nos larmes peuvent sembler si proches et situées tout près de la surface, alors qu’elles hésitent et se retiennent dans l’attente d’être libérées.


En réalité, ce sont les petits aléas de la vie qui peuvent produire une fissure, soit une délicate ouverture dans laquelle nos sentiments peuvent se réfugier, et qui nous remuent suffisamment pour que nous soyons éventuellement en mesure de nous ouvrir. Au cours des derniers mois, j’ai éprouvé des sentiments intenses et significatifs, mais la plupart du temps, j’ai eu l’impression de les ressentir logiquement. En vérité, j’ai parlé et j’ai même parfois déblatéré sur ces derniers. En revanche, ce fut ce court instant avec ce petit oiseau, ce moment de perte qui était imprévu et non apparenté à ce qui je vivais, qui a réussi à m’émouvoir.


D’ailleurs, ce phénomène est également observé auprès des enfants. Effectivement, bien que nous soyons aptes à distinguer cet aspect en nous-mêmes, nous le percevons habituellement davantage quand il s’agit des tout-petits, et ce, étant donné qu’ils expérimentent fréquemment la vie d’une façon qui se veut plus intense. Or, les grandes émotions surgissent souvent d’eux à des moments inattendus et parce qu’ils n’ont pas encore développé le contrôle de leurs impulsions. De fait, ces émotions peuvent aussi quelquefois se manifester d’une manière qui est particulièrement crue, excessive et irréfléchie.

Entre autres, il est possible que nous observions un enfant qui marche accidentellement sur un ver de terre et fondre en larmes, car il craint de l’avoir tué.

Ou il est également possible que son crayon se brise et que celui-ci était son préféré. Par conséquent, cet incident lui a été trop difficile à supporter et une crise de colère s’est ensuivie.

Ou bien, il ne parvient pas à remonter sa fermeture éclair parce qu’elle est coincée dans le tissu et ainsi, ses larmes commencent à couler.


Lorsque nous assistons à de tels incidents, nous pouvons être prompts à interpeller ces enfants. Vraiment ?! Sérieusement ?! Pour l’amour de Dieu, ce n’est qu’un crayon! Tu as vraiment le don d’exagérer!


Ce que nous ne percevons pas dans ces situations sont les couches de tristesse et de frustration qui se trouvaient en proximité de la surface. En outre, ce que nous ne réalisons pas, à priori, est que cet enfant était habité de sentiments qui ne demandaient qu’à être exprimés.

Ce constat peut être valable au cours de toutes les périodes de la vie d’un enfant puisque l’existence humaine peut être mouvementée sur le plan émotionnel. Toutefois, ceci est particulièrement vrai dans un contexte de catastrophes. À l’heure actuelle, les enfants (et nous tous!) font l’expérience de frustration accrue, de déconnexion, de tristesse et de pertes. À vrai dire, leurs émotions sont agitées et elles requièrent un endroit où elles peuvent s’extérioriser.


Les émotions cherchent à s'exprimer

L'émotion est en quête d'expression, mais pour qu'elle parvienne à se révéler, il est indispensable qu'elle se sente en sécurité. Or, il peut être ardu pour les enfants (ainsi que pour nous tous !) de porter un regard direct sur les choses qui les frustrent, qui les blessent, qui les accablent de tristesse ou qui les bouleversent. Par ailleurs, en l'absence d'un point d'accès spécifique, il est parfois compliqué de trouver un exutoire. Les sentiments peuvent donc s'accumuler et subsister à l'intérieur de l'enfant d'une façon désordonnée et confuse. Néanmoins, si un moment survient qui effleure légèrement un sentiment qui anime l’enfant, ceci créera un exutoire où l'émotion pourra s'extérioriser.


Que pouvons-nous faire lorsque nous voyons les sentiments des enfants se déverser d’une telle façon?


Prenez le temps de les écouter.

Accordons aux enfants, dont nous avons la charge, le simple cadeau de les écouter attentivement et sincèrement, et ce, même si leurs propos nous paraissent ridicules et qu'ils s'expriment d’une manière grossière. En fait, il s'agit de leurs sentiments et ceux-ci sont réels pour eux.


Bien que cela puisse nous sembler anodin, les sentiments qu'ils éprouvent à la suite de la perte d'un crayon brisé ou d'une fermeture éclair coincée sont concrets pour eux. Quand nous pouvons accompagner leurs sentiments de frustration ou de perte, nous pouvons alors leur faire de la place pour qu’ils soient aptes à communiquer ce qui les envahit. De plus, ils peuvent connaître une certaine libération émotionnelle au moyen de cette expérience qui consiste à être vus et entendus. Cette harmonisation qu'ils reçoivent de nous à ce moment précis leur permet de se sentir en sécurité et de s'adapter éventuellement aux défis de la vie.


Il convient de souligner que nous n'avons pas besoin de corriger ou d'améliorer ces débordements. En fait, nous devons simplement écouter et accompagner les sentiments des enfants.


Oooh, je suis désolé mon cœur! Je sais à quel point tu aimais ce crayon.

Ou

Je comprends, les fermetures éclair peuvent être si frustrantes !


Aidez les enfants à trouver les mots pour verbaliser les sensations qui occupent leur corps.

Les enfants, notamment les plus jeunes, sont moins susceptibles de disposer des mots qu'ils peuvent attribuer aux sensations que nous qualifions de « sentiments ». Dans certains cas, les sentiments d'un enfant s'expriment d'une façon qui ne sollicite pas naturellement notre chaleur. Entre autres, il arrive quelquefois que leurs grands sentiments ne se traduisent pas par des larmes, ce qui, autrement pourrait faire appel à notre bienveillance. De plus, il arrive parfois que leurs grands sentiments se déversent, ou plutôt, explosent sous forme de crises de colère. Cependant, il convient de souligner qu’une crise de colère qui survient lors d’un moment de frustration ou de bouleversement correspond simplement à l’expression des grands sentiments de l’enfant. Conséquemment, au moment où les enfants sont en mesure de se doter de mots pour décrire les expériences et les sensations afférentes à leur univers intérieur, ils disposent alors de plus de possibilités d'en parler et de les partager d'une façon qui se veut moins explosive.


Il importe de mentionner que le temps idéal pour entamer une brève discussion à propos de ses sentiments intenses est celui où le moment qui est empreint de grands sentiments s'est dissipé et où l'enfant est plus calme et proche de nous. Nous pouvons réfléchir à ce moment précis et l'aider à établir un lien entre ce que son corps a fait (les cris, les piétinements, les coups) et ce qu'il a probablement ressenti. Au fil du temps, cette approche peut contribuer à associer progressivement les sensations présentes qui animent le corps de l’enfant aux mots qui décrivent ses sentiments. Or, les enfants ignorent habituellement la raison pour laquelle ils ont explosé, ou piétiné ou frappé la table avec leurs poings. Par conséquent, le fait de relier leurs gestes physiques à des sentiments potentiels peut sûrement les aider.


Il est préférable de garder son discours bref et simple, et de ne pas s'engager dans de longues discussions. En vérité, il s'agit d'établir un lien entre ce que leur corps a fait et ce qu'ils ont sans doute ressenti.


« Je pensais à ce qui s'est produit plus tôt aujourd'hui quand ton crayon s'est brisé. Je sais que cela t'a vraiment contrarié. Je crois que tu as dû te sentir à la fois triste et frustré. J'ai vu tes sentiments exploser alors que tu tapais du pied et que ta voix est devenue très forte. Il arrive quelquefois que notre corps nous montre à quel point nous sommes bouleversés. Je suis consciente que c'était difficile pour toi et j'aimerais que tu saches que je te comprends. Je voulais seulement te dire qu'il m'arrive aussi de me sentir parfois triste et frustrée. »

À vrai dire, il est possible que nous nous inquiétions que l'enfant continue à exprimer ses sentiments par des moyens qui soient aussi intenses et physiques si nous ne le réprimandons pas quant à ces manifestations explosives d'émotions. Toutefois, nous pouvons être certains qu'il est peu probable que cela se déroule de la sorte. En fait, les enfants commenceront à partager et à s'exprimer davantage avec leurs mots lorsqu'ils se sentiront entendus, en sécurité et écoutés, et qu'ils développeront également un langage pour décrire leurs sentiments.

Attendez-vous à davantage de débordements émotionnels au cours de cette période spécifique.

Il importe de préciser que d’anticiper un plus grand nombre de turbulences émotionnelles n'aide certainement pas à les faire disparaître, mais le fait de rectifier notre compréhension et nos attentes peut assurément minimiser la frustration que NOUS éprouvons quand les enfants dont nous avons la charge s'expriment de manière excessive ou lorsqu’ils le font lors de circonstances imprévues. En outre, en sachant pertinemment que l'expression émotionnelle correspond à un signe de santé émotionnelle et qu'il ne s'agit pas d'un dysfonctionnement, cela peut nous procurer davantage de patience. Certes, l'expression crue peut être difficile à supporter, mais elle signifie également que les sentiments de l'enfant sont bien présents et adaptés, et surtout qu'ils ne sont pas éteints. (Ouais! Peu importe! Je m'en fous!) Il convient de révéler que nous avons besoin de nos sentiments afin de faire preuve d'empathie, d'être curieux à l’égard du point de vue d'autrui et pour développer maîtrise des impulsions. Bien que les grandes éruptions de sentiments soient ardues, et ce, particulièrement lors de moments inattendus, elles indiquent toutefois que l'enfant ressent, parfois profondément, et ceci en soi s’avère être une excellente nouvelle.


Actuellement, les enfants connaissent énormément de frustrations et de pertes. Ce qui signifie plus précisément qu'ils ressentiront plus d’agitation en eux. Or, dans un tel contexte, nous pouvons nous attendre, qu’à cet instant, il advienne un plus grand nombre d'explosions d'émotions.


Faites de la place à l’expression.

Étant donné que nous savons que les enfants sont actuellement plus bousculés émotionnellement, nous devons envisager de recourir à des moyens qui sont susceptibles de les aider à se libérer de ces émotions. En leur proposant des exutoires généraux qui sont destinés à l’évacuation et à l'expression, nous leur fournissons ainsi un lieu sécuritaire où leurs sentiments peuvent émerger. À ce titre, il existe plusieurs moyens simples et faciles qui permettent de créer de l’espace afin que les sentiments soient extériorisés. De plus, ces mesures ne nécessitent pas de parler de ceux-ci ou d'acquérir une expertise quelconque en la matière.


Voici quelques méthodes utilisées pour canaliser de manière préventive l'énergie émotionnelle :

  • Le jeu libre (au moyen du jeu libre, les enfants sont spontanément attirés à jouer, à assimiler et à dégager tout ce qui sommeille en eux).

  • Écouter et/ou faire de la musique

  • L’activité physique (se rouler, courir, pratiquer des sports, danser !)

  • Les histoires ou les narrations de contes, spécialement ceux qui nous touchent droit au cÅ“ur.

  • Écriture (les journaux, l’écriture libre, la poésie, les récits)

  • Le théâtre (même si nous ne faisons que jouer des concepts ou des livres simples mais qui sont sans parole !)

  • Chanter ensemble

  • Être simplement à l'extérieur dans la nature

  • Dessiner et colorier ou même simplement gribouiller ! (Essayez de le faire en écoutant de la musique en guise de toile de fond. Cela peut contribuer à exprimer davantage d'émotions).


Si vous souhaitez découvrir des activités destinées aux enfants de la maternelle au secondaire V, mon guide d'accompagnement « Inside-Out », qui est offert gratuitement avec notre livre « Reclaiming Our Students », comporte 60 pages d'activités visant à favoriser l'expression des sentiments. De plus, mon livre/CD : « I Can Dance My Feelings » comprend une sélection de musique et une animation vocale pour encourager les enfants à adopter des mouvements amusants pour s'exprimer. Ces ressources peuvent vous être utiles, et il doit être souligné que la majorité des bibliothèques en ont à leur disposition pour les prêter.


Ne catégorisez pas l’enfant comme étant « trop intense »

Et finalement, il convient de nous rappeler de ne pas étiqueter un enfant, à tort, comme étant « excessif » puisque ce que nous croyons être compte énormément.

En réalité, lorsque nous disons aux enfants qu'ils sont « mélodramatiques » ou que nous leur disons qu'ils sont trop intenses, il est alors possible qu'ils commencent à essayer de se diminuer. Plus précisément, ils peuvent tenter diligemment de freiner l'expression de leurs sentiments. (Je suis excessif ! Je dérange mon enseignant. Ma mère est incapable de me supporter.) Au moment où nous dissimulons qui nous sommes vraiment et que nous nous dénaturons dans le but d'être acceptés par les autres, nous risquons donc d'accroître nos sentiments d'anxiété. (Ce que je suis véritablement est insupportable pour tout le monde, je dois ainsi dissimuler ce que je suis pour être accepté).


Par ailleurs, le fait de réprimer l'expression de ses propres sentiments peut effectivement intensifier les éruptions spontanées. En effet, quand une personne tente de refouler ses émotions, celles-ci ont moins de possibilités de se mobiliser et de se déployer, et elles risquent ensuite d'éclater de façon inattendue au moindre élément déclencheur.


Lorsque les enfants sont conscients que leurs sentiments sont invités et accueillis par nous, ils éprouvent l’intégrité de cette invitation à se dévoiler tels qu'ils sont. Ainsi, nous considérons et nous acceptons tous les aspects de leur identité. Et le fait que nous soyons en mesure de « reconnaître » ce qu'ils sont leur permet alors de découvrir, par l’intermédiaire de notre regard, que non seulement les émotions sont normales, mais que ce qu'ils sont, à titre d'êtres émotionnels, est nettement accepté et célébré. De plus, de cette manière, ils se régulent par nous, et subséquemment, nous les soutenons afin qu'ils parviennent à la plénitude de ce que signifie le fait d'être humain.


Faire de la place pour les sentiments de chacun, et notamment les nôtres.

Nous traversons tous une période difficile présentement. Si nous constatons que nos propres sentiments se déversent lors de moments inusités, essayons de faire en sorte de nous montrer indulgents à notre égard. Conséquemment, tentons de créer un espace pour l’expression de nos sentiments et sachons que ceci constitue une démarche qui vise à prendre soin de nous.


Et tandis que nous nous efforçons à chercher des moyens pour soutenir la santé émotionnelle des enfants dont nous avons la charge, souvenons-nous de faire de la place pour leurs sentiments. En outre, s'ils marchent sur un ver de terre, que leurs larmes se mettent à couler et que leur réaction nous semble intense, rappelons-nous qu'il se peut véritablement qu'ils soient tout simplement bouleversés par cette mort, et qu'ils la ressentent profondément. Toutefois, il est également possible que ce bref moment de perte ait engendré un espace qui aurait permis à certains de leurs autres sentiments de se manifester à leur tour. À vrai dire, nous ne le saurons pas et nous n'avons aucunement besoin de le savoir. En réalité, tout ce dont nous devons être conscients est que les enfants requièrent que nous soyons présents pour eux au cours de ces expériences, et ce, afin qu'ils soient aptes à se reposer en nous et qu'ils soient capables de trouver un espace sécurisant qui leur permette de ressentir.


Cordialement,

Hannah


Tous droits réservés Hannah Beach © 2021


Hannah Beach est une éducatrice, auteure et conférencière primée. En 2017, elle a été reconnue par la Commission canadienne des droits de la personne comme l'un des cinq principaux acteurs du changement au Canada. Elle est coauteure de Reclaiming Our Students: Why Children Are More Anxious, Aggressive, and Shut Down Than Never — And What We Can Do About It (publié en avril 2020).


Elle offre des services de développement professionnel à travers le pays et fournit des conseils en santé émotionnelle aux écoles.


Trouvez-la en ligne à l'adresse suivante: https://hannahbeach.ca

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