Écrit par Lisa Weiner (2 juillet 2020)
Traduit par Nathalie Malo
Ces derniers mois correspondraient à une combinaison gagnante si nous cherchions à créer une recette ultime pour générer de la frustration. Il convient de souligner que la frustration constitue l’une de nos principales émotions en tant que mammifère et qu’elle survient au moment où les choses ne se déroulent pas conformément à nos attentes.
De ne pas être en mesure de se déplacer dans la société comme nous y étions habitués auparavant? Cela est extrêmement frustrant! Être dans l’obligation de faire ses devoirs à domicile tout au long de la journée? Cela est certainement une source de frustration! D’être incapable de voir et de fréquenter ses grands-parents, ses enseignants ou ses cousins? Voilà une autre source de frustration! De devoir superviser les travaux scolaires des enfants à la maison tout en tentant simultanément de travailler et/ou d’accomplir toutes les autres tâches qui doivent être effectuées au cours de la journée? Cela est tout aussi frustrant!
L’une des vérités fondamentales qui se rapportent aux émotions réside dans le fait qu’elles cherchent à s’exprimer.Si nous sommes aptes à comprendre cette vérité, nous serons en mesure de trouver le temps et l’espace nécessaires à leur expression. Cependant, si nous ne saisissons pas ce constat, nos émotions chercheront à s’exprimer malgré tout, et elles s’échapperont (ou jailliront) de nous à notre insu. Nous savons tous à quoi peut ressembler une éruption qui est liée à l’émotion de frustration. Somme toute, elle peut se caractériser par des propos blessants, des crises de colère, du sarcasme, donner des coups (ou avoir une forte envie de frapper), des claquements de porte, des comportements autodestructeurs, etc.
Alors que les circonstances frustrantes affluent ces derniers temps, il serait raisonnable, en tant que parents, de faire en sorte d’établir régulièrement des moments qui sont réservés aux émotions (les nôtres ainsi que celles de nos enfants) afin qu’elles puissent s’extérioriser d’une manière que nous estimons particulièrement acceptable. En d’autres termes, que nous attribuons du temps et de l’espace au développement de ce que le docteur Gordon Neufeld appelle des « terrains de jeux émotionnels ». Il importe de spécifier que ceux-ci consistent en des activités ou en des pratiques qui allouent des périodes de temps sans contrainte et un espace suffisant pour permettre aux émotions de se manifester. En réalité, il s’agit essentiellement de « toilettes » émotionnelles, c’est-à-dire des lieux de défouloir qui sont désignés et à partir desquels peuvent se libérer des décharges émotionnelles qui sont parfois déplaisantes et peu attrayantes. La comparaison avec des toilettes est particulièrement juste parce que nous savons pertinemment quel genre de gâchis peut advenir si nous ne prenons pas le temps de nous y rendre sur une base régulière…
Si nous nous attardons à l’expression de la frustration, il est possible de distinguer trois grandes catégories d’activités où la frustration peut « émerger par l’entremise du jeu », soit les activités destructrices, les activités constructives et les activités qui suscitent la mélancolie.
Il est probablement évident pour nous tous de voir à quel point le jeu caractérisé par la destruction permet de « ventiler » la frustration. En vérité, la frustration peut s’accumuler en nos enfants (ou en nous) à la façon d’un volcan qui serait sur le point d’entrer en éruption. Or, ce type d’activités offre des endroits où l’énergie explosive peut se dissiper en toute sécurité.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples d’activités destructrices :
Confectionner une boîte « c’est nul! » (qui ressemble à une boîte de plaintes traditionnelle) qui sera disposée dans la cuisine où tous les membres de la famille peuvent insérer des bouts de papier remplis de termes de frustration et ce, à toutes les fois que leur frustration doit s’extérioriser (même si certains termes employés ne font pas partie du vocabulaire que vous autorisez, souvenez-vous que généralement plus le jeu est audacieux et plus il sera adapté à l’émergence de la frustration la plus hostile qui soit et ce, en toute sécurité)
Se défouler sur un sac de boxe
Marteler des bouteilles de verre qui sont enveloppées dans une serviette
Couper du bois
Dessiner une image d’une personne ou d’un objet et la déchirer par la suite
Concevoir un « journal d’injures » (un journal de défoulement où il est possible d’écrire des critiques, des insultes, des jurons de même que tout autre chose qui serait inacceptable de divulguer)
Le jeu constructif peut également représenter un moyen qui est propice pour atténuer la frustration. Effectivement, cela fait du sens si nous nous remémorons que la frustration apparaît lorsque les choses ne se passent pas comme nous le désirons. Étant donné que la frustration provient d’un désir de changement, le simple fait de pouvoir accomplir quelque chose qui se déroule tel que nous le voulons constitue un exutoire à la frustration qui s’accumule en lien avec toutes les choses que nous sommes dans l’incapacité de modifier.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples d’activités constructives :
Faire un projet sur mesure, que ce soit par l’entremise du travail du bois, de la poterie, de la pâtisserie, de la boulangerie ou de la cuisine
Aménager et cultiver un jardin potager
Ranger un tiroir, un bureau ou une étagère
Enfin, malgré que cette catégorie semble paradoxale, les activités qui évoquent un peu de tristesse aident pareillement la frustration à s’extérioriser. En fait, l’une des meilleures façons de libérer la frustration est de la convertir en tristesse.Autrement dit : comment convertir la colère en tristesse? Le fait de se laisser transformer par ces aspects que nous ne pouvons pas changer et d’être en mesure de s’adapter à ceux qui vont à l’encontre de nos désirs consiste en la réponse ultime qui est afférente à tout ce qui est hors de notre contrôle. D’ailleurs, il s’agit du fondement de la véritable résilience et c’est la raison pour laquelle les activités qui induisent la mélancolie sont si efficaces pour canaliser la frustration qui s’est accumulée.
Vous trouverez ci-dessous quelques exemples d’activités qui suscitent la mélancolie :
Visionner des films qui sont tristes
Lire de la poésie
Faire ou écouter de la musique
Tenir un journal intime (pour y écrire ses réflexions, ses pensées, ses émotions et ses sentiments)
Comme vous pouvez l’imaginer, chacune de ces listes pourraient se prolonger indéfiniment et ce, compte tenu du fait qu’il existe autant de terrains de jeux émotionnels que de personnes. De plus, il ne faut pas oublier que ce qui fonctionne pour un individu peut ne pas être adéquat pour un autre. Conséquemment, il est primordial de trouver ce qui convient à chacun de vos enfants dans le but de déterminer ce qui peut correspondre à leurs besoins ainsi qu’aux vôtres. Selon le docteur Neufeld, tous les enfants disposent d’un « penchant » qui leur est propre. Sont-ils des donneurs de coups? Ont-ils tendance à crier? Sont-ils des créateurs? Ou des peintres? Par conséquent, il nous suffit d’identifier la nature de leur « penchant ».
En cette période incertaine où tant de choses ne progressent pas comme nous le souhaiterions (soit une période qui est marquée par maintes frustrations quotidiennes), nous aurions avantage, dans le cadre de nos horaires qui ont été fraîchement redéfinis, de réserver une plage de temps de façon à ce que chaque membre de la famille soit en mesure de jouer. De surcroît, nous nécessitons tous des lieux, et ce, quelques fois par semaine, où il est possible d’évacuer notre frustration. Toutefois, nous craignons tellement que si nous accordons un peu d’attention à la frustration, celle-ci n’hésitera aucunement à nous envahir et à occuper toute la place dans notre vie.
En réalité, tout le contraire est vrai. Si nous octroyons à notre frustration un certain espace libre pour s’exprimer, il est fort probable que les risques seront moindres qu’elle surgisse de nous aux moments inopportuns.
Lisa Werner
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