top of page

Les enfants nécessitent un endroit sécurisant où ils peuvent ressentir leurs émotions

Updated: May 8, 2020

Écrit par Hannah Beach (15 janvier 2020) Traduit par Nathalie Malo


Nos enfants se trouvent en pleine crise émotionnelle. Il semble que les enfants se montrent plus anxieux, agressifs et fermés que jamais. D’ailleurs, ce phénomène se manifeste visiblement dans nos écoles, nos foyers, notre voisinage et nos espaces communautaires. La situation a pris une telle ampleur que nos journaux écrivent littéralement des articles portant sur des enfants, en âge de fréquenter l’école primaire, qui frappent, donnent des coups de pied et mordent leurs enseignants ¹. En effet, 54% des enseignants de l’Ontario qui ont été interrogés en 2017/2018, ont rapporté avoir vécu de telles expériences. En outre, de par la nature de mon travail en territoire canadien, je suis particulièrement consciente que ces problématiques sont endémiques et ce, dans toutes les localités qui forment ce pays.

Des spécialistes du domaine de l’enfance ainsi que des psychologues sont questionnés dans le cadre d’émissions de radio et de « podcasts » dans le but de saisir les fondements de cette crise et les mesures que nous devrions adopter. De plus, alors que les enseignants et les professionnels tentent de se mobiliser (ou en toute franchise, de terminer leur journée), les idées se multiplient quant aux raisons sous-jacentes à ce phénomène et aux façons de créer des changements. Or, je réalise que ma boîte de réception de messagerie regorge d’infolettres et d’articles de blog qui proposent diverses solutions prescriptives de même que des programmes de développement du caractère. Ces articles sont porteurs de certaines promesses telles que « Les sept étapes qui permettront aux enfants d’acquérir une santé émotionnelle » ou « Comment enseigner aux enfants à communiquer calmement en situation de conflit ».

Si seulement il était si facile d’apprendre aux enfants à respecter une série d’étapes ou d’appliquer un modèle pour gérer les émotions et ce, d’une façon qui est similaire aux adultes. Et encore, si les adultes étaient capables de gérer leurs émotions de cette manière! La santé émotionnelle ne peut pas être « enseignée » Quelles sont les raisons pour lesquelles nous ne pouvons pas « enseigner » aux enfants les principes subjacents à la santé émotionnelle? La réponse à cette question réside dans la compréhension de ce que sont les émotions et la signification afférente au fait d’être émotionnellement équilibré et sain. Les émotions telles que le bonheur, la tristesse, la peur, l’amour et la colère, entre autres, correspondent à des processus physiologiques qui sont instinctifs et involontaires qui se trouvent en nous. D’ailleurs, ces émotions sont ressenties par tous les individus. Il est important de spécifier que nos émotions jouent un rôle fondamental puisqu’elles déterminent nos réactions, nos comportements et nos interactions en lien avec notre environnement et ce, peu importe que nous soyons conscients d’elles ou non.

Nos sentiments nous font prendre conscience des émotions qui nous habitent, et ils constituent les messages délibérés qui parviennent de nos émotions et qui nous indiquent ce que nous vivons. Afin d’être en bonne santé émotionnelle, nous devons : • Être conscient de nos émotions, c’est-à-dire que nous devons être apte à les ressentir • Être en mesure d’exprimer nos émotions • Être disposé à reconnaître et à respecter les sentiments que les autres nous expriment

Bien que cette liste semble décourageante, ce qui s’avère le plus important à retenir est que la santé émotionnelle débute par les sentiments. En réalité, il ne s’agit aucunement d’un processus intellectuel qui peut être enseigné à partir d’un manuel. Pour acquérir une santé émotionnelle, il est essentiel de vivre diverses expériences qui nous mettent en relation avec l’ensemble du spectre des émotions humaines et ce, même pour celles que nous tentons trop souvent d’éviter.

J’apprécie particulièrement la manière dont le Dr Gordon Neufeld résume ce concept en son essence même:

« Le fondement de l’enjeu relatif à la santé émotionnelle et au bien-être réside dans le fait que les enfants doivent ressentir leurs émotions, même les plus vulnérables. Il n’existe pas d’humanité sans sentiments, pas de maturation sans sentiments, pas de résilience sans sentiments, pas d’adaptation sans sentiments et pas d’empathie sans sentiments. » -Dr Gordon Neufeld

Tous les propos du Dr Neufeld portant sur la santé émotionnelle me paraissent vrais, et ils reflètent parfaitement ce qui m’a été possible d’observer par le biais de mon travail empirique avec les enfants au cours des 25 dernières années. La cause principale de la crise émotionnelle et des problèmes de comportement qui en découlent, et dont nous sommes témoins quotidiennement dans nos foyers, nos écoles et nos communautés, provient du fait que les enfants sont en train de perdre leurs sentiments.

Considérez ceci : Combien de fois avons-nous recours à des tactiques telles que des systèmes de récompenses et de punitions dans le but d’inciter les enfants à « être gentils », pour se retrouver ensuite face à des commentaires tels que « peu importe! », « Je m’en fous! » ou « ce n’est pas important! »? Ou, à quelle fréquence entendons-nous l’expression « Je ne sais pas! » lorsque nous demandons à un enfant la raison pour laquelle il nous a désobéit délibérément ou qu’il a blessé autrui? Nous entendons ce type de répliques parce que plusieurs enfants ne parviennent réellement pas à ressentir leurs émotions. Cependant, cela ne signifie aucunement qu’ils ne sont pas poussés tout de même par leurs émotions. Nous sommes toujours enclins à agir en fonction de nos émotions et ce, même si nous n’avons plus accès à celles-ci par le truchement de sentiments qui nous procurent les indices révélateurs de ce qui nous habite. Ce phénomène est extrêmement déconcertant quand il se produit à l’âge adulte, et il l’est davantage pour les enfants.

Le changement ne commence point par la gestion de nos émotions en tant que processus intellectuel auquel nous réfléchissons systématiquement dans le feu de l’action! Ainsi, le changement, celui qui est authentique, profond et durable, provient de l’intérieur. Un changement durable implique que nous devons en premier lieu ressentir nos émotions, en devenir vraiment conscient, disposer de l’espace requis pour les exprimer et par la suite, d’agir sur elles de manière appropriée. Effectivement, les changements qui s’avèrent être les plus profonds et durables se produisent au niveau émotionnel. Or, c’est à ce niveau que nous devons susciter l’intérêt de nos enfants si nous voulons favoriser leur bien-être émotionnel. Donc, comment pouvons-nous aider nos enfants à trouver leurs sentiments? La relation est le point de départ Il est important d’aider nos enfants à trouver leurs sentiments au moyen d’une approche bienveillante.

De par mes 25 années d’expérience dans le développement de programmes expérientiels pour les enfants, j’ai appris que cette démarche commence par l’établissement de relations positives avec les enfants avec lesquels nous travaillons quotidiennement. Peu importe que vous soyez un enseignant, un travailleur social ou un professionnel aidant, les recherches actuelles démontrent clairement qu’une connexion émotionnelle sécuritaire avec un adulte bienveillant représente la meilleure façon de protéger le cœur de nos enfants. Une relation qui est solide et empreinte de confiance avec un adulte compatissant est susceptible d’avoir une incidence positive sur la santé émotionnelle et le bien-être d’un enfant et ce, indéfiniment. Si les enfants se sentent véritablement pris en charge, cela leur permettra de développer leurs propres sentiments de sollicitude qui les rendront naturellement plus sensibles aux besoins émotionnels des autres.

Ce raisonnement peut sembler incroyablement simple, voire évident, et il peut paraître également « naïf » ou « trop facile » dans les faits. Néanmoins, rien n’est plus faux. La manière dont nous traitons actuellement les comportements problématiques des enfants et des jeunes (soit, en recourant à des systèmes de récompenses et de punitions ou en tentant de devenir « ami » avec les enfants tout en les amenant à nous considérer comme des pairs) ne fait qu’envenimer le problème. Dans le meilleur des cas, ces approches seront inefficaces et dans le pire des scénarios, elles exacerberont le problème puisqu’elles nous éloignent des enfants que nous essayons de soutenir.

Nous devons plutôt retrouver le chemin menant au rétablissement des relations avec les enfants dont nous avons la charge de sorte qu’ils se sentent en sécurité avec nous, et qu’ils deviennent éventuellement réceptifs à nos conseils. Nous devons être leur lieu de sécurité, soit l’endroit où ils se sentent suffisamment protégés pour retirer les barrières qui sont placées autour de leur cœur. Dès que nous aurons procédé de la sorte, nous aurons l’opportunité d’apporter des changements significatifs dans leur vie. Nos sentiments ont besoin de jouer Il est tout aussi important de construire des relations solides avec les enfants que de leur offrir des occasions qui leur permettront d’exprimer leurs sentiments. En d’autres termes, nous devons leur procurer des terrains de jeu émotionnels, et d’après moi, ceux qui sont les plus efficaces se rapportent aux arts. Toutefois, il ne s’agit pas des arts dans le sens classique du terme.

Depuis la nuit des temps, les adultes tout comme les enfants se sont exprimés par le biais des arts, en dessinant sur les murs des cavernes, en dansant autour des feux, en partageant des histoires, en chantant des chansons et en sculptant de l’argile. Les cultures se créent au fil du temps et elles détiennent la sagesse de ce qui est requis afin de maintenir la santé émotionnelle des individus ainsi que des communautés. Or, le fait que chaque culture traditionnelle ait développé des rituels de chant, des partages d’histoires et des danses n’est pas une coïncidence en soi. Ces formes d’art ont servi de moyens d’expression qui permet de rassembler les gens de manière à extérioriser ce qui doit être libéré, et de partager dans la réflexion collective ce que signifie le concept d’être humain.


En résumé, elles nous rapprochent de nos sentiments et de ceux de nos semblables. De plus, ces expériences sont cruciales à un développement émotionnel équilibré et sain. Les répercussions considérables des arts sur la santé émotionnelle et le bien-être de nos enfants ainsi que des communautés élargies suscitent de nouveau notre attention et ce, en raison d’un changement de paradigme au niveau mondial. Alors que les arts étaient autrefois perçus comme étant « superflus » au sein des programmes scolaires et communautaires, les chercheurs et les experts dans le domaine de la santé émotionnelle commencent à saisir le pouvoir extraordinaire dont disposent les arts pour éveiller les sentiments, soutenir la croissance émotionnelle et ce faisant, nous relier les uns aux autres. De nos jours, ce constat peut paraître surprenant, mais si nous tenons compte des pratiques historiques et culturelles qui se sont perpétuées sur des milliers d’années, nous réalisons que les rituels et les pratiques artistiques qui ont été intégrées dans nos vies sont indispensables à un développement humain qui est sain.

En tant qu’êtres humains, nous éprouvons un besoin fondamental d’exprimer ce qui nous habite de manière à nous faire connaître des autres et de leur faire découvrir notre univers intérieur. Ce besoin d’expression nous permet de comprendre qui nous sommes et de nous immiscer dans le monde d’autrui. Il importe de souligner qu’il est possible de ressentir nos émotions de façon inégalée dans le contexte d’expériences artistiques. En effet, nous écoutons de la musique qui nous émeut, ou nous regardons des films grandioses qui nous permettent de vivre des moments cathartiques. En outre, nous racontons et partageons des histoires qui nous transportent sur les routes des émotions (par exemple, la tristesse, la joie, le deuil, la souffrance, et l’espoir), et qui nous donnent un aperçu des expériences d’autrui, et ce que signifie le fait d’être pleinement humain.

Les expériences artistiques peuvent devenir des terrains de jeu pour nos sentiments lorsqu’elles sont axées sur le processus plutôt que sur le résultat. Nous supportons le développement équilibré des enfants en leur fournissant des possibilités d’expression artistique sous des formes qui sont franchement amusantes et qui sont soutenues par la sécurité de la relation que nous entretenons avec eux, c’est-à-dire par des moyens qui ne suscitent aucunement la pression de concevoir quelque chose qui est « bon » ou « parfait », mais préférablement qui leur permettent d’être eux-mêmes et de le partager cet état de fait avec nous, de même qu’avec les autres. Par ailleurs, quand ils se sentent liés à nous en raison d’une relation stable et solide (soit, lorsque nous devenons leur point de repère), alors ces expériences artistiques entraîneront des changements qui sont profonds. Par conséquent, la santé émotionnelle qui émerge de ces expériences correspond au fruit de la relation et du jeu, et à ce titre, elle sera profonde et durable. Qu’allons-nous faire dorénavant ? Bien que nous souhaitions des mesures et des stratégies prescriptives afin de soutenir la santé émotionnelle de nos enfants, il faut se rappeler que ces mesures ne conviennent pas au fonctionnement des êtres humains. Or, nous sommes des êtres qui sont remplis d’émotions, et nous sommes désordonnés et compliqués. De plus, nous devons tenter de renoncer à diriger et à occasionner des changements en utilisant que notre mental. Que nous faut-il en tant qu’êtres humains? Il importe que nous soyons connectés, et nous devons nous sentir en sécurité pour ressentir. Est-ce compliqué? Absolument, et c’est fantastique!

Nous devenons admirablement et imparfaitement humains dans la foulée du désordre compliqué où nos sentiments sont vivants. C’est en cet endroit que nous pouvons ressentir toute la gamme de nos émotions. C’est en cet endroit que nous pouvons ressentir notre tristesse et découvrir notre résilience. C’est en cet endroit que nous pouvons ressentir notre joie et être suffisamment vulnérables pour entretenir de l’espoir. C’est en cet endroit que nous pouvons ressentir notre humanité et celle de l’autre. Et tout ceci, correspond à la santé émotionnelle.

J’ai hâte d’approfondir ces concepts et de partager mes réflexions, mes idées et mes récits de travaux relatifs aux enfants et aux jeunes de tous les milieux ainsi que de ceux qui sont afférents aux professionnels qui œuvrent dans les domaines de l’éducation, du travail social et du développement communautaire. Le changement systémique qui favorise la santé émotionnelle des enfants est possible, et il débute à un niveau qui est éminemment humain, soit dans le cadre des interactions individuelles quotidiennes entre les adultes et les enfants dont ils ont la charge.

Il existe une autre manière de procéder et je vous invite volontiers à vous joindre à moi.

Cordialement,

Hannah Beach




Hannah Beach est une éducatrice, auteure et conférencière primée. En 2017, elle a été reconnue par la Commission canadienne des droits de la personne comme l'un des cinq principaux acteurs du changement au Canada. Elle est co-auteure de Reclaiming Our Students: Why Children Are More Anxious, Aggressive, and Shut Down Than Never — And What We Can Do About It (publié en avril 2020). Elle offre des services de développement professionnel à travers le pays et fournit des conseils en santé émotionnelle aux écoles.

Trouvez-la en ligne à https://hannahbeach.ca

bottom of page