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Les systèmes de gestion du comportement II: plus de mal que de bien?

Deuxième partie : La gestion des comportements à l’ère numérique


Écrit par Eva de Gosztonyi (23 février 2017)

Traduit par Nathalie Malo


J’ai constaté que le développement de l’enfant s’inscrit dans un contexte de quiétude. Cette réalisation s’est produite en approfondissant mes connaissances ainsi que ma compréhension liées aux conditions idéales qui permettent d’aider nos enfants à atteindre pleinement leur potentiel. Des études récentes qui portent sur la nécessité et l’importance du sommeil ont contribuées à appuyer cette conclusion. Le paradigme développemental de Neufeld nous informe que les enfants peuvent se trouver dans un environnement où la tranquillité est propice, uniquement lorsqu’ils peuvent compter sur les adultes qui partagent leur existence. En effet, ces adultes doivent prendre soin d’eux de façon inconditionnelle, les prendre en charge ainsi que de garantir leur sécurité.


C’est dans une telle perspective que j’ai commencé à être préoccupée par une nouvelle approche dans le domaine de la gestion de classe, soit l’émergence des systèmes numériques en gestion du comportement. Sans faire référence à un cas spécifique, je souhaite aviser le personnel dans les écoles de certaines conséquences imprévisibles de l’utilisation de ces programmes, et par conséquent, de la nécessité de procéder à une réévaluation de ceux-ci.


Lorsque les enseignants sont confrontés à un groupe d’élèves indisciplinés et difficiles à gérer, il est compréhensible qu’ils souhaitent trouver une solution rapide et efficace. Après tout, l’enseignement devient quasi impossible si les élèves interrompent continuellement la classe, s’ils ne suivent pas les directives établies et s’ils gênent les autres élèves.


Il faut mentionner que ces systèmes numériques de gestion du comportement sont relativement faciles à employer. Ils offrent aux professeurs la possibilité d’avoir recours à leurs téléphones intelligents et/ou à des tableaux électroniques pour suivre le comportement des enfants dans la salle de classe. De plus, ils présentent de nombreuses fonctionnalités qui les rendent attrayants pour les élèves ainsi que les adultes. À court terme, les professeurs peuvent percevoir des résultats concrets puisque leurs élèves réagissent aux réponses immédiates en lien avec leurs comportements et les récompenses qui ont été attribuées. En outre, la popularité de ces systèmes a considérablement augmenté alors que les enseignants partagent à leurs collègues leur satisfaction quant aux bénéfices encourus par ce nouveau mode d’intervention.


J’admets que certaines caractéristiques associées à ces programmes sont intéressantes. En fait, les enseignants peuvent les utiliser en tant que moyens pour partager aux parents, en toute sécurité, des photographies et des vidéos des différentes activités qui se sont tenues avec les élèves dans la salle de classe. Il est indéniable que les parents aiment «voir» ce que leurs enfants font au cours de la journée. De plus, ces photos et brèves vidéos peuvent susciter une discussion entre les parents et l’enfant lorsqu’ils seront de retour à la maison.


Néanmoins, il existe d’autres particularités à ces programmes qui s’avèrent préoccupantes, et ce, même si à première vue, elles semblent être tout simplement un prolongement des stratégies courantes de la gestion des classes; c’est-à-dire l’application des systèmes de renforcement positif pour convier l’enfant à adopter un comportement adéquat en classe. Les théoriciens du comportement et de l’apprentissage ont longtemps préconisé que si nous désirions modifier le comportement d’un enfant, nous devrions tenir compte du fait que cela survient le plus souvent lors d’une réponse immédiate ou du renforcement positif aux comportements désirés.


Lorsque l’un de ces systèmes est utilisé pour améliorer le comportement des élèves dans la classe, l’enseignant enregistre tandis qu’il observe un enfant se comporter tel que souhaité, soit en appuyant sur le nom de l’enfant ou en touchant une image, et ce, tout en circulant dans la classe avec son téléphone intelligent en main. En employant un téléphone intelligent, le professeur est apte à procurer des retours fréquents et cohérents relativement aux comportements anticipés. Les résultats sont enregistrés sur une carte numérique, et il arrive par moment que ces derniers soient rendus publics sur un babillard électronique.


Cette manière de procéder fait en sorte que chacun des enfants est au courant du nombre de fois où il a adopté les comportements attendus. D’ailleurs, ces résultats peuvent également être partagés avec les parents par l’entremise de leurs téléphones intelligents.

Lorsque ces programmes sont initialement introduits dans la classe, les enfants sont fascinés par leur personnage (si cette option fait partie du programme choisi), et ils aiment être reconnus pour leur comportement adéquat ainsi que de voir leurs points s’afficher sur le tableau. Les élèves sont encouragés à se dépasser quotidiennement dans le but d’accumuler autant, sinon plus, de points positifs gagnés au cours de la journée précédente. De ce fait, plusieurs enfants tentent de faire aussi bien ou mieux que leurs camarades de classe. De plus, certains systèmes permettent aux élèves de substituer leurs points en échange de récompenses concrètes. Par conséquent, il est indéniable de constater une amélioration du comportement dans la salle de classe. Les enfants deviennent plus conscients des comportements souhaités, et ils les adoptent afin de recevoir de la reconnaissance et des récompenses. Ainsi, le professeur estime qu’il (ou elle) peut se remettre à enseigner puisque le climat dans la classe s’est amélioré.


Toutefois, il est important de jeter un coup d’œil plus approfondi afin de connaître les autres scénarios possibles qui découlent de l’utilisation de ce programme.


Il faut mentionner que l’une des caractéristiques qui rend ce système intéressant est qu’il permet à l’enseignant de donner des commentaires sur un comportement observé, et ce, peu importe le lieu (que ce soit dans la classe ou dans l’école), et au moment même où il s’est produit.


Cependant, je me suis posée la question suivante : « Est-ce que je réussirais bien si je savais qu’une personne me surveillait et qu’elle prenait note de ma performance à tout moment? ». Bien que je sois apte à « présenter le comportement souhaité », quel effort vais-je devoir faire et comment vais-je me sentir? Repensez à la dernière fois où vous avez remarqué qu’une voiture de police vous suivait. Soudainement, toute votre attention s’est portée sur les moindres détails de votre conduite afin de savoir si votre comportement sur la route était conforme aux règles établies. De se sentir de la sorte était épuisant, et ce, bien que vous n’ayez enfreint aucune règle au code de la route. Quel sentiment de soulagement lorsque le véhicule de police s’est détourné de votre voiture! Est-ce possible que les élèves se sentent de la même manière quand leur comportement est constamment surveillé, enregistré et divulgué?


L’enfant qui évolue dans une telle classe est dorénavant bien conscient du comportement qu’il doit adopter. De plus, le fait de vouloir être « reconnu » exigera de lui un effort considérable pour qu’il agisse d’une façon qui incitera son professeur à lui porter attention. Il est essentiel de souligner que notre cerveau est peu fonctionnel lorsqu’il s’agit d’accomplir plusieurs tâches simultanément. Par conséquent, il est fort probable que les élèves aient moins d’énergie à consacrer à l’apprentissage véritable lorsqu’ils doivent concentrer leurs énergies à se comporter convenablement. Bien qu’ils semblent plus impliqués dans la tâche qui leurs a été assignée, est-il possible que leur cerveau ne soit pas pleinement investi dans le processus d’apprentissage?


Quoique les professeurs nous affirment qu’ils ne font qu’enregistrer et renforcer les comportements souhaités, les enfants sont tout à fait conscients de leur potentiel (de ce qu’ils peuvent faire de plus); de ce que font les autres et de ce que nous attendons d’eux. Dans de telles circonstances, nos « bons » enfants, qui n’éprouvent aucune difficulté à se comporter correctement, deviennent anxieux à l’idée de ne pas être à la hauteur des attentes des enseignants.


Qu’arrive-t-il si un enfant connaît une mauvaise journée (il est fatigué, il se sent malade, il a été rejeté par un ami)? Qu’advient-il si un enfant est immature et enclin à être trop réactif, et qu’il considère que les contraintes comportementales d’une journée d’école sont insurmontables? Que faire si un enfant s’efforce et fait de son mieux, et que l’enseignant ne le remarque pas? Que faire si un enfant obtient systématiquement moins de points que ses camarades de classe? Et, en définitive, que se passe-t-il lorsque cette information est communiquée aux parents?


Désormais, à la place d’un « visage souriant » qui récapitule la journée, Papa et Maman peuvent savoir exactement le nombre de fois pour lesquelles l’enfant s’est comporté adéquatement. Par exemple, un enfant a dit à sa mère ceci : « Maman, j’aurais été apte à avoir 45 points aujourd’hui mais j’en ai obtenu que 35. Est-ce que tu m’aimes encore? » Assurément, ses parents étaient consternés que leur enfant croit que pour mériter leur amour, il devait adopter « un bon comportement ». Néanmoins, cette réponse de l’enfant n’est pas surprenante pour un théoricien développemental. En effet, les êtres humains sont connectés afin d’être vulnérables aux perturbations rencontrées dans leurs relations d’attachement. Lorsque beaucoup d’emphase est mise sur la manière dont l’enfant doit se comporter, il est tout à fait normal que celui-ci se concentrera sur l’évidence et qu’il en vienne à croire que son comportement a une incidence directe ainsi qu’un effet significatif sur la qualité de la relation qu’il entretient avec ses parents.


Un facteur plus préoccupant est que l’utilisation de tels programmes peut faire en sorte que la communication avec les parents ne se centre désormais que sur des comportements et des évènements problématiques qui se sont tenus à l’école. Certains systèmes autorisent l’enseignant à aviser électroniquement un parent par l’entremise de leur téléphone intelligent ou de leur ordinateur, lorsque leur enfant s’est conduit de manière inadéquate, et ce, dès que le comportement ou l’incident survient. Prenons un moment pour nous imaginer ce que l’enfant ressent lorsqu’il sait que ses parents sont conscients qu’il s’est comporté de manière inappropriée à 10 heures du matin et qu’il lui reste une journée à franchir. Cette situation peut être bouleversante et stressante pour des enfants immatures et/ou trop réactifs ainsi que pour des enfants sages.


Maintenant, imaginez-vous ce que les parents peuvent ressentir en sachant que leur enfant éprouve des « problèmes » à 10 heures le matin. Il arrive fréquemment que le contexte dans lequel l’incident soit survenu ne soit pas communiqué aux parents, et conséquemment, ces derniers ne peuvent qu’imaginer le pire scénario. De telle manière, les parents passent leur journée à ressasser ce qu’ils doivent faire de plus afin de « réparer » leur enfant.


Le parent et l’enfant sont tous deux en état d’alarme, un état qui s’avère préoccupant et difficile à tolérer. Cet état peut conduire à de la frustration, qui peut à son tour engendrer des éruptions (à la fois pour l’enfant et l’adulte). Les enfants qui sont capables de se retenir et de maintenir leur calme à l’école, auront souvent des crises de colères importantes et prolongées lors de leur retour à la maison. Certains anticiperont la réaction de leurs parents, ils ne pourront se contenir, et conséquemment, ils perdront le contrôle à l’école. De plus, la réaction de l’enfant peut paraître incompréhensible et démesurée pour d’autres membres du personnel qui n’étaient pas informés du message qui avait été transmis plus tôt par le professeur aux parents via un téléphone intelligent. Donc, il n’est pas étonnant que le personnel scolaire (autre que l’enseignant) soit surpris que l’enfant explose en réponse à une simple requête ou à un simple refus. Le véritable motif de ce comportement extrême découle du fait que l’enfant s’est inquiété pendant des heures et a anticipé la réaction de ses parents quant à l’incident qui est advenu en début de journée.

Je suggère fortement à des individus qui travaillent dans le domaine de la relation d’aide et dont les parents d’enfants les consultent relativement à un enfant qui est devenu récemment très anxieux, de demander aux parents si un de ces systèmes numériques est utilisé dans la salle de classe. J’ai souvent entendu parler d’enfants, et ce spécialement les dimanches soir, qui éprouvent de la difficulté à s’endormir, qui ont des cauchemars, qui mouillent leur lit par récurrence, ainsi que d’autres symptômes révélateurs d’alarme. Certains enfants sont aptes à exprimer leurs inquiétudes quant à leur inhabileté à se «comporter suffisamment bien» au cours de la semaine qui vient, et pourtant de nombreux enfants sont incapables de le faire. Toutefois, leur comportement est révélateur d’un accroissement de l’alarme qui pourrait fort bien être fondé sur ce qu’il se produit dans leur salle de classe.


En définitive, nous devons nous demander si le fait de se focaliser essentiellement sur l’assimilation du « bon » comportement, sert à promouvoir les intérêts de nos enfants. Est-ce que le renforcement positif peut bel et bien faire développer le cerveau? Est-ce que le souci constant d’obtenir un comportement qui implique une bonne conduite, se veut propice à l’apprentissage en classe? Est-ce qu’il est possible pour l’enfant de se détendre dans le contexte de relations adultes-enfant, lorsqu’il sait pertinemment que tout ce qu’il fait est continuellement surveillé et signalé?


Est-ce que se sont les résultats qui avaient été anticipés au départ en implantant ces programmes? Je ne crois pas! En effet, de nombreuses personnes qui travaillent dans le contexte scolaire constatent et rapportent une hausse des alarmes, de l’agitation et de l’anxiété auprès des élèves. Il est surprenant qu’une intervention qui était destinée à améliorer le climat dans la salle de classe, semble avoir engendrée des effets secondaires indésirables.


Toutefois, il n’existe pas de réponse facile. On dit que de faire grandir un enfant requiert la patience d’un jardinier. En analogie, prenons l’exemple d’un plant de tomates aux feuilles jaunes et hérissées. Avec les soins requis, ces feuilles se transformeront en fruits de forme ronde et de couleur rouge. Conséquemment, nous devons croire qu’en présence de conditions favorables, c’est-à-dire qu’en ayant des attachements stables et solides, sécurisants, et bienfaisants avec des adultes bienveillants, les enfants pourront éventuellement devenir des êtres humains matures. Les enfants nécessitent un climat de repos afin de s’épanouir et de grandir convenablement. En outre, il est primordial qu’ils aient l’opportunité de faire des erreurs pour gagner en maturité. Ainsi, il est primordial de tenter de trouver des meilleurs moyens pour aider les enfants à gérer les attentes comportementales de l’école.


Dans mon prochain article, je partagerai les interventions employées par les enseignants et les écoles qui utilisent une approche développementale pour aider leurs élèves.


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