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Que le jeu commence! – Sa pertinence pour se frayer un chemin au cœur de la discipline

Updated: May 19, 2023

Par Dre Deborah MacNamara (15 juin 2020)

Traduit par Nathalie Malo



Lors d’une fin de soirée, ma fille de 5 ans, m'a dit ceci: « Maman, je crois que nous avons un problème, car je n'aime pas dormir ». Pour ma part, j’ai convenu avec elle qu’il s'agissait effectivement d'un problème puisque, contrairement à elle, j'adore dormir. Étant donné qu'elle s’est aperçue que nous étions dans une impasse, elle m'a donc proposé cette solution : « Eh bien moi, je vais devenir noctambule comme mon hamster! ». Je lui ai répondu que cela créerait tout de même une complication parce que je suis diurne. Elle a répliqué : « Oh maman, arrête de prendre tes grands mots avec moi! »


Toutefois, en ce qui concerne les jeunes enfants, il existe décidément une chose sur laquelle vous pouvez compter, notamment que plus vous vous montrerez inflexible, et plus ils s'entêteront et vous résisteront. Que ce soient des luttes pour se rendre aux toilettes ou quitter le parc, les jeunes enfants éprouvent systématiquement des difficultés avec les transitions, et ils peuvent même se laisser aller à des crises de frustration. Par ailleurs, une autre facette des jeunes enfants correspond au fait que vous ne rencontrerez jamais des êtres aussi enjoués et joyeux qu’eux. À vrai dire, ils font preuve d'une capacité inégalée à faire en sorte que les aspects routiniers de la vie semblent être de nouveau inédits. De plus, leurs fous rires sont tout simplement contagieux. Il importe de préciser qu'ils vivent dans l'instant présent et qu'ils exhibent un engouement pour le jeu et l'imagination qui s’avère être tout simplement irrésistible.


Il est intéressant de constater que le principal défi auquel nous sommes confrontés, en présence d’un jeune enfant, réside dans la prévisibilité de son caractère imprévisible! En effet, il peut passer d’un état émotionnel extrême à un autre, et ce, apparemment sans avertissement. Pour cette raison, au moment où des transitions surviennent dans sa vie, il peut arriver que nous ayons l’impression de marcher au milieu d’un champ de mines. Entre autres, il est nécessaire qu’il se brosse les dents et qu’il mange son déjeuner, mais parfois cela se produit à son plus grand déplaisir. Tandis que les jeunes enfants vivent dans l’univers du jeu, nous évoluons plutôt dans un monde qui est caractérisé par le travail et les responsabilités. En réalité, nous ne devons pas perdre de vue que les jeunes enfants n’agissent aucunement comme nous, et qu’il est peu probable que nous nous souvenions d’avoir été (ou d’avoir pensé) d’une façon similaire à eux. Or, il existe bel et bien un écart entre nous, mais au lieu de dépenser notre énergie à tenter de les faire changer, il serait préférable de faire appel à ce que nous savons être fondamentalement vrai à leur propos.

Ils sont programmés pour le jeu

Le jeu est un instinct qui est profondément ancré dans le cerveau de toutes les espèces de mammifères. D’ailleurs, l’instinct qui est propre au jeu ne nous quitte jamais entièrement, et les jeunes enfants peuvent rapidement se laisser séduire par sa nature ludique. Néanmoins, le principal enjeu, pour les adultes, se rapporte au fait que leurs diverses préoccupations et leur volume de travail semblent absorber les endroits, le temps et l’énergie qu’ils disposent pour le jeu, et de la sorte, ils en perdent le sens de son utilité. Et pourtant, si l’instinct de jeu est si prononcé chez les jeunes enfants, alors il nous incombe, en tant qu’adulte, de découvrir de quelle manière nous pouvons exploiter cette tendance afin d’en tirer un avantage commun lors des moments éprouvants que nous partageons avec eux.

Il est fort probable qu'une des raisons pour lesquelles nous n'avons pas envisagé le jeu à titre de solution, quant à certaines difficultés que nous expérimentons avec de jeunes enfants, réside dans le fait que nous sommes demeurés accrochés à l'idée que la discipline inculque à l'enfant à devenir plus mature. De toute évidence, la discipline est une affaire extrêmement sérieuse ! Dans ces moments où les enfants redoublent d'ardeur et font preuve de résistance, l’idée apparemment peu intuitive selon laquelle nous pourrions recourir au jeu pour résoudre cette situation, suscite la crainte que nous ne les préparions pas suffisamment à faire face aux exigences du « monde réel ». Certes, il est certain que personne ne se réjouit d’être en présence d’un enfant qui est gâté et qui se croit tout permis, mais il est essentiel de reconnaître que la maturité ne découle pas exclusivement des leçons et de la discipline auxquelles les enfants sont assujettis (après tout, est-ce que la plupart d'entre nous ne connaissent-ils pas des adultes qui se conduisent comme des enfants d'âge préscolaire, et ce, malgré toutes les leçons et la discipline qu'ils ont supposément reçues?) À vrai dire, il est important de mentionner que la maturité est le plus souvent le fruit d'un attachement profond à ceux qui prennent soin des enfants, de même que du sentiment de sécurité que ces adultes leur procurent.


Comprendre le cerveau des jeunes enfants

Si nous instaurons des conditions qui sont favorables à un développement sain et équilibré par le biais de l’attachement et de la sécurité émotionnelle, il est fort probable que l’enfant grandira naturellement en étant plus calme et en mesure d’accepter les manques et les pertes, en abordant les changements sans éruption et en employant les mots pour exprimer sa frustration à la place de frapper ou de crier. Entre l’âge de cinq et sept ans (et jusqu’à neuf pour les plus sensibles), le cerveau d’un enfant devrait se développer suffisamment de façon à détenir la faculté de disposer de sentiments et d’idées qui sont partagés et plus élaborés, ce qui engendre, à son tour, un certain contrôle émotionnel et un comportement qui est plus sage. Plutôt que de vivre dans l’instant présent comme le fait un enfant d’âge préscolaire, il est capable de décrire qu’il détient des pensées mitigées (une partie de moi veut effectuer ceci, mais l’autre souhaite quelque chose de différent), ainsi que de faire une pause et de réfléchir avant de parler. Au fur et à mesure que le développement de son cerveau progresse, il est apte à constater et à évaluer les conséquences de ses gestes avant de réagir. Par conséquent, les fluctuations impulsives des émotions, qui sont typiques à l’enfant d’âge préscolaire, sont peu à peu remplacées par le portrait d’un enfant qui est plus réfléchi et qui est capable de ressentir deux conditions simultanément (je ne veux pas aller me coucher, mais j’ai sommeil). Cependant, en attendant que cela se produise, nous devrons guider un jeune enfant afin qu’il arrive à accomplir des choses telles que de s’habiller, ranger ses jouets et respecter l’heure du coucher qui lui a été assignée.

Il convient de souligner qu’une des particularités du jeune enfant tient à l’exclusivité de son expérience. En réalité, il se consacre uniquement à ce qui se trouve sous ses yeux, et c’est pour cette raison que les transitions et les directives sur ce qu’il doit faire par lui suite lui donnent l’impression que quelque chose lui est enlevé. Subséquemment, cette vigilance singulière est également ce qui rend le jeu une merveilleuse stratégie puisqu’il attire spontanément l’attention de l’enfant et crée une transition qui se fait sans douleur hors de l’activité à laquelle il est en train de se livrer.

Choisir le jeu préférablement à la punition

La majorité des mesures disciplinaires conventionnelles visent à modifier les émotions ou la mentalité d’un enfant en un tout autre état (de la joie de peindre avec ses doigts à la dure réalité qui consiste à être envoyé en retrait dans un coin de la classe pour ne pas avoir rangé le matériel utilisé!), et qui ont pour but ultime d’obtenir son obéissance. Qu’il s’agisse de retraits, de conséquences, de la méthode « 1-2-3 Magique! » et de tentatives qui visent à le contraindre par le biais de menaces, de séparations et de chantage, ces pratiques révèlent que nous ne comprenons tout simplement pas le fonctionnement du jeune enfant. À vrai dire, il est inutile de lui imposer des conséquences parce qu’il n’a pas encore acquis la capacité de réfléchir à ce qui pourrait se passer quand tout ce qu’il dispose est une durée d’attention qui est restreinte et qui fait en sorte qu’il peut uniquement se concentrer sur le moment présent. En effet, l’enfant s’attire régulièrement des ennuis en réagissant de manière impulsive, et ce, sans que les adultes saisissent qu’il n’aura aucunement le contrôle de ses impulsions, et ce, avant l’âge décisif qui se situe entre cinq et sept ans (ou plus tard). En outre, il convient de préciser que lorsqu’un enfant en bas âge est soumis à un retrait (une technique à laquelle les pédiatres canadiens s’opposent désormais), cela peut engendrer de l’insécurité au sein de la relation existante, et également susciter des sentiments de frustration et d’alarme quant à perspective de la perte de ses attachements.


Alors, où le jeu entre-t-il en scène? La beauté du jeu est qu’il nous procure un lieu de répit lors des périodes difficiles. En fait, le jeu ne correspond pas à la réalité et il est exempt de véritables conséquences. Dans le cadre du jeu, nous pouvons prétendre que nous n’avons pas réellement de dents, que nous n’avons pas besoin de les brosser, que notre animal en peluche les brossera pour nous ou que quelqu’un est venu nous les voler. Que les dents soient réelles ou non n’a aucune importance, et tel est l’intérêt véritable du jeu, qui d’ailleurs s’avère plutôt irrésistible pour les enfants. Conséquemment, plus nous sommes investis dans le jeu et moins nos enfants se sentiront contraints, et moins il se sentiront forcés, et plus nous respecterons leur volonté (et éviterons leur résistance!). Il convient de spécifier que cette façon de procéder nous fournit une opportunité de nous amuser tout au long du nettoyage des dents ou de désamorcer la « crise », et de réintégrer les enfants doucement dans le monde concret où leurs dents existent réellement.

Il est tout à fait légitime que nos jeunes enfants aient leurs propres idées et opinions, et nous devrions les encourager pour que ce soit de la sorte. Lorsqu'ils auront atteint l’âge de 14 ou 24 ans, nous apprécierons qu'ils aient tracé leur propre voie et qu'ils aient assumé la responsabilité de leurs décisions et de leurs aspirations, tout en espérant que d’ici là, ils auront acquis l'expérience nécessaire pour les corroborer. En attendant, la phase du « je vais le faire moi-même », que nous observons auprès de l’enfant qui est âgé de deux ou trois ans, constitue le berceau de cette identité individuelle ultérieure. Cependant, le problème réside dans le fait que nous devons nous occuper des enfants à une période où ils ne savent pas vraiment ce qui est bon pour eux et où ils sont intrinsèquement portés à être en désaccord avec nous, et ce, pour la simple raison que nous réfléchissons aux conséquences, et qu'ils ne le font pas et/ou en sont incapables. Il est important d’indiquer que nous devons sauvegarder cet instinct qui les habite et qui cherche à comprendre les choses par eux-mêmes. En outre, c'est à ce niveau que la modalité du jeu se révèle particulièrement utile.


« Nous ne nous arrêtons pas de jouer parce que nous vieillissons, mais nous vieillissons parce que nous nous arrêtons de jouer. »
- George Bernard Shaw


Se mettre en mode de jeu

Quand nous sommes impliqués dans le jeu, nous sommes coupés du travail et des réalités de la vie. À vrai dire, un enfant peut développer par le biais du jeu un sens d’émergence et il peut extérioriser ses pensées et ses idées (aussi farfelues soient-elles), sans que ne figure aucune menace pour sa vie ou celle d’autrui. En outre, le jeu autorise l'enfant à libérer ses émotions et à s'exprimer, et ce, tout en préservant notre relation avec lui; une solution qui s’avère avantageuse pour les deux parties concernées. Il importe de mentionner que le jeu a un aspect remarquable, notamment que à la suite d’un considérable fou rire ou d’une quelconque absurdité, telle une partie de cachette pour trouver des « dents manquantes », votre relation avec l’enfant se renforcera et vous vous trouverez en meilleure posture pour le diriger.


Je me souviens d'une certaine soirée où mes jeunes enfants « se sont ralliées ensemble » pour me dire qu'elles ne comptaient pas se brosser les dents alors que je les préparais pour le coucher. Je leur ai répondu qu'elles étaient drôles et qu'elles devaient poursuivre leur routine. Par contre, plus j'insistais et plus elles résistaient de toutes leurs forces de 5 ans et de 3 ans et demi. Ma plus jeune m'a regardée et elle a répondu ceci : « Tu n'es pas notre patronne! ». Le caractère insensé de ce commentaire m’a profondément marqué, et dans ma tête, je me suis dite : « Oh, que je souhaiterais parfois ne pas être votre patronne! ». Par conséquent, il ne me restait rien d’autre à faire que de pleurer ou de m’opposer davantage. Dans un tel contexte, j'ai décidé d’emprunter un autre chemin, soit celui du jeu. Or, je leur ai annoncé que puisqu'elles n'avaient plus besoin de moi, je pensais sérieusement à redevenir un bébé parce que cela semblait tout simplement amusant. Alors, je me suis couchée sur le plancher de la salle de bain, avec mes jambes et mes bras qui gesticulaient dans les airs, et j'ai pleuré en disant ceci: « Gaa ga, goo goo, poo poo, woo woo, je suis un bébé, j'ai besoin de lait, j'ai besoin de câlins, j'ai besoin qu'on change ma couche! », et ensuite, je me suis mise à rire de façon incontrôlable. Tandis que j'étais manifestement en train de jouer, ma plus jeune a confié à sa sœur : « Ne la laissons plus jamais être un bébé, d'accord ? » Et sur ces paroles, elles ont commencé à se brosser les dents. Toutefois, la gratification inattendue de cette démarche fut le sentiment de bien-être que j'ai ressenti après avoir joué ma propre frustration, et ce, sans que mes filles s’en aperçoivent, et tout en préservant leur sentiment de capacité.


Le véritable enjeu réside dans le fait que nous ne nous sentons pas souvent enjoués alors que nous sommes submergés par les pressions du travail et l'éducation des enfants. Néanmoins, que se passerait-il si nous acceptions d’emblée que cela fait partie intégrante de la prise en charge d'un jeune enfant ? Et si nous comprenions simplement qu'ils sont têtus, parfois de mauvaise humeur et enclins à exploser, joyeux, enjoués, insensés et régulièrement déconcertants, au lieu d'essayer de les faire grandir, de les rendre sérieux, convenables, responsables et en mesure de tenir compte des conséquences (ce qui, soit dit en passant, ne fonctionne aucunement) ?


Et si, à la place de nous bagarrer avec eux pour les mettre au lit, nous nous frayons un chemin au moyen du jeu pour les y amener (des soirées dansantes aux combats de lutte, des chansons que nous inventons par rapport à notre journée aux personnages fictifs qui nous accompagnent dans nos rêves) ? Et si nous nous contentions de laisser le jeu nous porter plutôt que de devoir sans cesse nous soucier de la discipline et de garder notre sang-froid quand ils n'ont pas les mêmes intentions que nous ? Dans quelle mesure notre relation pourrait-elle être plus harmonieuse si nous laissions le jeu nous porter au-delà de l'impasse qui existe entre la maturité et l'immaturité ? Et si nous revenions directement à l'endroit où nous sommes tous semblables, où la vie n'est pas réelle, où les émotions peuvent se révéler en toute sécurité, où le plaisir nous unit? Si nous laissions simplement le jeu nous rapprocher au moment où les contraintes de notre journée menacent de nous séparer ? Et si le fait de savoir et d'appliquer tout cela nous simplifiait la vie?


Le jeu peut constituer la réponse à tant de conflits auxquels nous sommes confrontés avec les jeunes enfants. Cependant, nous ne le remarquons pas parce que nous sommes généralement axés sur le résultat plutôt que sur la manière la plus prometteuse d'y parvenir. Il existe suffisamment de temps pour que les enfants nous rejoignent au niveau de la maturité, mais pour l'instant, ils nous procurent une occasion inégalée d'être témoins et de nous souvenir de ce que c'était d'être jeune et de sentir qu'il n'y a aucun souci dans ce monde. Si nous cessons de les pousser à vivre dans la réalité tel que nous le faisons (ce qui n’est pas leur rôle), et que nous nous engageons dans leur univers qui est empreint de jeux et de faux semblants, alors les différences qui nous séparent disparaîtront et nous trouverons le moyen de les mener vers la destination souhaitée. En dernier lieu, il importe de spécifier que la particularité incroyable du jeu réside dans le fait qu'il est en mesure de nous guérir et de nous aider chacun, et ce, à la simple condition que nous le laissions entrer dans notre vie.



Tous droits réservés Deborah MacNamara, 2020©


Dre Deborah MacNamara est la directrice du centre de consultation et de ressources familiales Kid’s Best Bet et membre du corps professoral de l’Institut Neufeld anglophone. Elle est également auteure de l’ouvrage « Jouer, grandir, s’épanouir » qui a été traduit dans 11 langues ainsi que du livre d’images « The Sorry Plane ».


Pour de plus amples renseignements, veuillez visiter le site Web suivant: https://macnamara.ca/



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