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« Excuse-toi! » : Pourquoi les excuses forcées sont plus dommageables que bénéfiques

Updated: Sep 23, 2021

Écrit par Deborah MacNamara (29 novembre 2019)

Traduit par Nathalie Malo


Si vous côtoyez un terrain de jeux ou une cour de récréation suffisamment longtemps, vous risquez d'entendre un enfant ou un adulte exprimer ceci : « Tu dois t'excuser! ». Ces propos sont supposés d’apaiser les peines, d’empêcher les enfants de se faire justice eux-mêmes et de communiquer un ensemble de règles relatives aux comportements et à la conduite à adopter.


D’autre part, il est également possible que vous entendiez des enfants dénoncer des excuses qui sont dénuées de sincérité lorsqu'ils en sont témoins, et de réclamer ceci: « Tu dois dire que tu es désolé comme si tu le penses vraiment! » Les excuses imposées semblent vides de sens parce qu'elles sont normalement dépourvues de véritable sollicitude. Néanmoins, le problème réside dans le fait que si nous pouvons pousser un enfant à s'excuser, cela n’implique aucunement qu'il éprouvera forcément des regrets pour autant.


Dans notre empressement à inciter les enfants à paraître matures et à ce qu’ils disent « les mots appropriés », nous avons oublié que les bonnes manières doivent être inspirées par les bonnes intentions. Que valent les convenances quand elles ne sont pas empreintes de considération, et en vérité, quel message véhiculons-nous à un enfant? Alors que nous pouvons l’obliger à dire « pardon » sous peine de punition, est-ce que cela signifie qu'un enfant fera ce qui est adéquat au moment où personne ne le regardera? En d'autres termes, est-ce possible qu’un enfant devienne plus attentionné si nous le forçons à répéter des expressions qui sont teintées de bienveillance?


En outre, nous exigeons que nos enfants se conduisent avec sollicitude lorsqu'il s'agit de dire merci ou de témoigner de l'affection à autrui. Toutefois, prenons-nous le temps de vérifier si un enfant ressent réellement de la gratitude et de la compassion avant qu’il ne dise merci? Demandons-nous à nos enfants de donner des câlins aux gens ou d'être « gentils » quand ils n'ont guère envie d’être proches d’eux et par conséquent, en ignorant et en minimisant les sentiments qui les habitent? De pareilles pratiques privent l'enfant d’un certain sentiment de pouvoir à l’égard de son corps et de ses sentiments. À vrai dire, il s'agit d'une approche qui s'avère néfaste et ce, en raison de ce que les enfants requièrent afin de s'épanouir et de se sentir en sécurité.


En principe, le fait de désirer que nos enfants grandissent en tant qu'êtres socialement responsables et émotionnellement matures ne se veut rien de mal ou de répréhensible. Cependant, il importe que cette croissance provienne de la compassion et qu'elle ne se produise pas au détriment de celle-ci. En réalité, un développement équilibré exige que les propos d'une personne correspondent à ce qu'elle veut effectivement dire. Telle est l'essence de l'intégrité et de l'authenticité qui représentent les assises de l'individualité. Ainsi, il est plausible de parvenir à un tel résultat, mais pour ce faire, il est préférable de s’abstenir de contraindre nos enfants à de faux semblants qui ne peuvent que contribuer à leur faire perdre leurs moyens sous l’effet de la pression. Or, le processus qui permet de devenir civil et socialement responsable est rendu possible par le biais de la bienveillance, et notre tâche consiste à la cultiver.


Mettre l'emphase sur la bienveillance à titre d'émotion vulnérable.

En premier lieu, il importe de vérifier si un enfant ressent des émotions vulnérables. Est-ce que l'enfant a acquis les mots pour décrire ses émotions? Est-ce qu’il peut accéder à ses larmes tandis qu’il se trouve confronté à des circonstances inattendues et dérangeantes? Est-ce qu'il se sent coupable lorsqu’il a blessé autrui? Dans cet ordre d’idées, nombreux sont les intimidateurs qui ont été dans l'obligation de s'excuser auprès de leurs victimes, et ce, sans que cela ne les transforme ou ne les rende davantage compatissants envers celles-ci.


Les enfants seront plus soucieux des autres quand ils seront imprégnés de sentiments de bienveillance. Il importe de guider nos enfants vers leurs sentiments de sollicitude de manière à ce que ces sentiments prévalent lors de leurs interactions avec d’autres individus. Par contre, une question subsiste: D'où provient la sollicitude au préalable?

À la naissance, l'inclinaison à prendre soin des autres est intégrée dans notre système émotionnel. Cependant, elle nécessite du soutien dans le but d’émerger. Bien que ce soit ironique et qu’il s’agisse d’un concept qui est simple, la prise en charge de nos besoins par une personne fait en sorte que cette faculté à se sentir concerné émerge en nous. La bienveillance nécessite la présence d'un attachement pour prendre son envol. Plus précisément, vous avez besoin de quelque chose qui vous touche émotionnellement pour que la bienveillance s’introduise. En d'autres termes, les enfants requièrent que nous les prenions en charge afin de libérer leur aptitude à se soucier d’autrui et des choses qui les entourent.


Prendre soin d'un enfant est une partie intégrante du travail de l'attachement. En cultivant des liens solides avec notre enfant et en assumant la responsabilité de sa prise en charge, nous sommes en mesure de le conduire à un état de repos. Gordon Neufeld a énoncé les propos suivants : « Un enfant ne doit pas travailler pour obtenir notre amour, mais préférablement se reposer en lui. » Au moment où un enfant peut considérer avec certitude que ses besoins relationnels seront satisfaits, son système émotionnel s’épanouira et il sera enclin à vouloir entrer en relation avec ses donneurs de soins. Somme toute, une relation sécuritaire engendre un attachement entre les enfants et leur donneur de soins. Par l’entremise de cet attachement, les adultes concernés sont aptes à prendre en charge les enfants et subséquemment, un sentiment de bienveillance s’ensuivra auprès des enfants.

Un attachement adéquat implique d'entretenir une relation solide en procurant un sentiment de similitude, d'appartenance, de loyauté, d'importance, d'amour ainsi qu’une opportunité de partager ses secrets (se référer au chapitre 4 du livre « JOUER, GRANDIR, S’ÉPANOUIR »). En effet, si les enfants peuvent considérer notre invitation à entrer en relation comme allant de soi, alors ils peuvent se reposer sous nos soins et par conséquent, devenir les êtres bienveillants que la nature avait prévus. Dans cette optique, il n'est jamais trop tard pour consolider notre relation avec un enfant et en conséquence, il est toujours possible de se montrer plus attentionné.


Il importe de se souvenir que nos enfants sont dotés d'un esprit de compassion inné qui les transforme en des êtres civilisés, sociaux et bienveillants. Notre rôle ne consiste pas à les pousser à agir comme s'ils se préoccupaient véritablement d'autrui, mais bien à développer leur sollicitude de l'intérieur vers l’extérieur.


Les émotions de nos enfants sont menacées

La bienveillance est devenue un enjeu primordial dans les milieux scolaires et dans les foyers. Nous n'hésitons pas à réagir promptement quand nous percevons des signes que certains enfants causent du tort à autrui, et nous sommes de plus en plus préoccupés par la hausse des agressions dans les écoles, les intimidations entre enfants qui sont devenues fatales ainsi que par l'augmentation des problèmes émotionnels tels que l'anxiété, la dépression et le suicide.


Des recherches menées aux États-Unis en 2011 ont montré que, par rapport à il y a 15 ans, les jeunes ont fait preuve de moins de 40% de faculté d'empathie envers d’autres personnes. Cette constatation s'accompagne d'une diminution similaire de leur aptitude à comprendre la perspective des autres, une composante qui est essentielle à l'empathie, et ce, au même titre que la bienveillance. Ce sont dans ces conditions que le racisme, l'homophobie et la misogynie prennent racine et prospèrent. En principe, si vous ne pouvez considérer que votre propre point de vue et que vous manquez de bienveillance, conséquemment une vision égocentrique peut aisément devenir votre réalité.

Alors que les enfants ne cessent de se blesser mutuellement et qu'ils sont davantage insensibles, notre réaction a été de leur inculquer une attitude de bienveillance à l'égard d'autrui. Toutefois, est-ce que nous avons pris le temps de nous demander si la bienveillance était une notion qui peut être enseignée dans un premier temps?


Les sciences du développement nous ont révélées que nous sommes nés avec de profonds instincts et émotions qui nous portent à prendre soin de soi et des autres. En réalité, ce phénomène est apparent chez les jeunes enfants lorsqu'ils prennent soin de leurs jouets ou de leurs jeunes frères et sœurs. Cependant, le défi rencontré en présence de jeunes enfants est qu'ils sont incapables de ressentir plus d’une émotion à la fois, si bien que s'ils sont frustrés, leur sollicitude s'en trouve éclipsée, et il est fort possible que nous observions uniquement un comportement agressif (voir le chapitre 2 du livre « JOUER, GRANDIR, S’ÉPANOUIR » pour obtenir de plus amples renseignements afférents à la personnalité de l'enfant d'âge préscolaire).


Au moment où le cerveau d’un enfant acquiert l’habileté à retenir deux émotions ou pensées simultanément (ce qui coïncide avec la période de 5 à 7 ans de Piaget) son cerveau tempérera naturellement sa frustration par des sentiments de bienveillance, si ces derniers sont existants. En d’autres termes, la nature dispose d’une réponse pour nous rendre plus civilisés et matures en faisant en sorte que nos enfants soient prédisposés à ressentir conjointement de la sollicitude de même que de la frustration et/ou de la colère. D’ailleurs, ce conflit interne freine l’enfant qui s’acharne sans réfléchir en lui permettant d’envisager comment il est susceptible de blesser autrui et de s’arrêter avant de passer à l’action. Autrement dit, la bienveillance permet de mettre fin à un comportement qui est impoli, méchant et menaçant à l’égard des autres.


Il est pertinent de souligner que les êtres humains sont programmés pour se soucier de leurs semblables puisque c’est une condition qui est essentielle à leur survie. Si nos enfants ne sont manifestement pas bienveillants, cela devrait nous sensibiliser au fait que leur immaturité est toujours présente ou que leurs sentiments vulnérables ont disparu. Bien que nous puissions tous perdre momentanément nos sentiments de sollicitude, lorsque cette absence se fait particulièrement fréquente ou persistante chez un enfant alors cela peut révéler que quelque chose ne fonctionne pas correctement dans son univers. En un mot, un enfant a davantage besoin que nous prenions soin de lui au moment où sa bienveillance a disparu.


En conséquence, que sommes-nous censés faire désormais avec les excuses?

Nous devons guider l’enfant vers ses sentiments bienveillants plutôt que de lui ordonner de se montrer aimable et de l’obliger à dire ceci: « Je suis désolé! » Dans le cas de certains enfants, il s’agit de porter une attention toute spéciale à l’émotion qui les anime telle que leur frustration. En outre, nous pouvons les aider à exprimer ce qui ne va pas ou ce qui leur cause des problèmes et ce, en accompagnant leurs émotions. Quand nous communiquons à un enfant ce qui n’est pas approprié (par exemple, que les mains ne servent pas à frapper), nous sommes également en mesure de lui faire comprendre que la relation que nous entretenons avec lui se porte bien et ce, malgré le constat que nous lui avons transmis au préalable. En premier lieu, l’accent doit être mis sur les intentions et les sentiments de l’enfant tels que : « Est-ce que tu as des pardons en toi? » De plus, vous pouvez accorder à l’enfant le bénéfice du doute et lui suggérer ceci : « Il arrive que des erreurs soient commises et si tel est le cas, nous devons trouver nos pardons et en donner un en retour à la personne qui a été blessée. »


En vérité, nous pouvons nous montrer patients et nous concentrer avant tout sur les émotions des enfants alors que nous jugeons que ces derniers se seraient emportés parce que leur cerveau est immature et que leurs émotions prennent parfois le dessus. De surcroît, au lieu de s’attarder uniquement à leur comportement, nous acquerrons la conviction que le fait de cultiver leurs sentiments se traduit par un processus qui portera les véritables fruits de la maturité à long terme.


Dans le livre d’images pour enfants « L’avion désolé », la mère conduit ses enfants vers leurs pardons. Dans ce récit, l’un des enfants y parvient rapidement tandis que l’autre se rebiffe en protestant et en affirmant qu’il ne se trouve aucun pardon en elle. À savoir que ce livre est basé sur une histoire vraie puisqu’il s’agit de moi et de mes enfants. À défaut d’exiger une performance trompeuse, la mère dans cet ouvrage transmet à son enfant qu’une excuse est de mise, et que, tôt ou tard, elle croit fermement que celle-ci ne tardera à venir. Pendant que la jeune enfant résiste et qu’elle les mène dans une quête futile consistant à trouver ses pardons, la mère de la fillette prend une position qui est à fois ferme et bienveillante quant au fait que les pardons finiront par revenir éventuellement. À la fin de l’histoire, l’enfant s’attendrit et elle dit à sa sœur qu’elle s’excuse avec beaucoup de sollicitude et de sincérité. Effectivement, il n’y rien qui remplace des excuses imprégnées de bienveillance qui sont susceptibles d’entraîner le pardon d’un autre individu. Le livre « L’avion désolé » vise à nous rappeler que nous devons croire que la sollicitude encouragera nos enfants à faire ce qui est juste.


Un jour, tandis que je surveillais des enfants dans la cour d’une école primaire, un garçon s’est élancé vers moi et m’a raconté que quelqu’un avait baissé les pantalons de Thomas et que ce dernier pleurait. Au moment où je rejoignais un groupe de garçons de 7 ans qui étaient blottis autour de Thomas qui sanglotait, j’ai aperçu son frère Oscar qui était en train de le réconforter. Dans cette perspective, j’ai informé Thomas que j’étais venue pour l’aider, que je pouvais constater à quel point il était bouleversé et que j’étais au courant de ce qui s’était passé quelques instants auparavant. J’ai demandé aux garçons présents de trouver l’enfant responsable de cet incident et de lui dire de venir me rencontrer. À ce moment-là, le frère de Thomas s’est mis à pleurer et il m’a avoué qu’il était le responsable. Par conséquent, j’ai sympathisé avec Oscar et mon cœur s’est tourné vers lui parce qu’il se trouvait dorénavant dans une détresse comparable à celle de son frère.


Alors que j’observais Oscar, j’ai réalisé que j’étais en présence d’un garçon qui se souciait profondément de son frère et qui était envahi de remords pour le geste qu’il avait posé à l’égard de Thomas. D’ailleurs, j’ai confié à Oscar que je pouvais m’imaginer qu’il devait être extrêmement frustré pour avoir descendu les pantalons de son frère. Il a acquiescé et il m’a raconté ceci : « Le ballon est arrivé rapidement et il a frappé mon ventre si fort que ma première réaction a été de baisser les pantalons de mon frère. » Dans ma tête, j’ai pensé que c’était évident qu’il ait agi de la sorte et ce, étant donné qu’un frère qui l’affectionne et avec lequel il se sent en sécurité correspond à la personne idéale pour déverser une telle douleur et une telle frustration. En outre, j’ai mentionné à Oscar que je pouvais convenir qu’il était réellement désolé pour le tort qu’il avait causé et qu’il serait indiqué qu’il tente de se faire pardonner par son frère. Tout compte fait, il a accepté immédiatement ma suggestion et ce, bien que je sois d’avis que son frère ait sûrement nécessité de plus de temps pour trouver son pardon.


Ce qui importe le plus…

Ce qui importe le plus ne sont pas les mots suivants : « Je m’excuse! », mais ce qui se cache derrière ceux-ci. En fait, ce sont nos sentiments bienveillants qui nous rendent pleinement humains et c’est la sollicitude qui nous permet de nous propulser en avant. Conséquemment, quel rôle devons-nous jouer lorsqu’il s’agit d’élever des enfants qui sont bienveillants?


Nous devons alimenter l’esprit de sollicitude de nos enfants en solidifiant la relation que nous entretenons avec eux. Plus précisément, cela signifie que nous devons les soutenir et leur procurer une certaine sécurité quand leurs larmes s’imposent. De plus, nous devons préserver et cultiver la relation d’attachement que nous avons établie avec eux en jouant et en mangeant ensemble ainsi qu’en nous aimant les uns les autres. À vrai dire, nous devons nous protéger contre les attraits d’une culture matérialiste qui est compétitive, axée sur les résultats et la performance, orientée vers le travail et qui menace de nous faire sortir de notre trajectoire.


En réalité, notre tâche qui est primordiale à titre de parents est de prendre soin du cœur de nos enfants. Remarquons que la sollicitude constitue notre superpouvoir et elle se révèle être une faculté qui sommeille en chacun de nos enfants. Tout bien considéré, nous donnons naissance à nos enfants au moyen de la sollicitude, et en contrepartie, leur bienveillance équivaut à un merveilleux cadeau qui nous est destiné.


L’avion désolé est une introduction ludique à l’importance de comprendre et de respecter nos sentiments et qui s’adresse aux enfants ainsi qu’à leurs donneurs de soins. Cet ouvrage est brillamment illustré à l’aide d’images captivantes qui ont été conçues par l’artiste Zoe Si. L’avion désolé véhicule un profond message à propos de l’importance de se connecter avec nos véritables émotions. Il souligne à quel point un vrai pardon provient du cœur. De plus, il spécifie les moyens que nous pouvons utiliser, en tant qu’adultes, pour sauvegarder l’esprit de bienveillance d’un enfant.


L’avion désolé porte le sceau recommandé de l’Institut Neufeld qui met en évidence la littérature pour enfants qui est en conformité avec les sciences du développement ainsi qu’avec l’approche développementale basée sur les relations qui a été élaborée par le docteur Gordon Neufeld, Ph.D.

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